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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 08:48

J’ai tout de suite vu sa cigale au revers et je lui demande quand il l’a obtenue. Il m’explique, par le menu, à quel moment il a reçu cette distinction du Félibrige mais surtout pourquoi il pense la mériter. Je vois que la flatterie marche sur ce genre d’individu alors j’en remets une couche sur ses chroniques puisque je suis censé être là pour la revue « Prouvenço d’aqui ». Il est bavard, trop content que quelqu’un de jeune s’intéresse à son travail, à sa science. Peut-être que le simple fait que je brise la solitude d’un vieil homme suffit à son bon accueil. Il me propose une « grune », des cerises dans l’eau de vie que je refuse après moult salamalecs, il revient à la charge avec une carthagène maison que je suis presque obligé de boire pour ne pas rompre le pacte de civilité qui s’est installé entre nous. On n’offre pas la mixture de la maisonnée à n’importe qui. C’est un signe de bienvenue qui va au-delà du minimum syndical de la politesse. On m’avait convié à un café et finalement j’ai droit à un traitement de faveur, même si personnellement je trouve que la boisson que l’on m’a servie est une abomination. Chacun ses goûts. Nous, les jeunes générations, n’arrivons plus à boire ce qu’avalaient nos aïeux. Je fais un gigantesque effort pour ne pas montrer que je suis venu en félon afin de soutirer des informations au vieux félibre.

Au bout d’une heure d’une conversation qui ne s’est pas éloignée du sujet officiel pour lequel j’ai montré patte blanche, je commence à glisser doucement sur les raisons réelles qui m’ont amené jusqu’ici. Mis en confiance ou tout simplement heureux de parler, Couderle ne voit pas malice dans mes propos. Je lui sors un bobard qui lui laisse entendre que j’ai entendu parler d’un cousin très très éloigné du côté de ma mère qui habiterait Boulvezon et je glisse subrepticement le nom de Bernard Montbrun. Le vieux est tout content de pouvoir me renseigner. J’apprends donc que Montbrun est le médecin du village. Tiens, tiens, toubib qui trempe dans de l’immobilier, les professions de santé, ça rapporte !

 Il m’explique que le père de Montbrun était propriétaire terrien. Il ne dit pas paysan. Il est pourtant de la partie. Je pense que cela doit tenir de la taille de l’exploitation. Je finis par savoir aussi qu’il est actuellement adjoint à la mairie chargé du domaine de l’urbanisme. On revient donc à nos questions sur le logement. Il ajoute que c’est un homme de culture, mélomane et qui connaît la poésie provençale. « Un type formidable », donc...

A ce moment là de la conversation, Couderle se souvient que le fils de Montbrun est, comme moi (puisque il a fait sien mon mensonge) étudiant en provençal et fait une thèse sur Maurras à l’université d’Avignon. Il me demande si je ne le connaîtrai pas. Je lui indique que je suis pour ma part à la fac de Montpellier. Ouf, j’ai failli être démasqué !

Une thèse sur Maurras, tout ça ne me dit rien qui vaille.

Je suis en possession d’informations sur les hommes de la famille Montbrun mais il me revient à la mémoire que Gonzalez m’a embauché pour rechercher la femme. Je n’arrive pas à la glisser dans la discussion. Je me vois dans l’obligation de battre en retraite et prendre congé du vieux félibre. Je lui promets de l’informer de l’avancée de mes travaux.

 

Cette rencontre m’a été bien utile. Sans la connaître, je commence à avoir une petite idée de qui peut-être la fille du vieil espagnol. Lui s’est engagé volontairement dans les forces antifascistes pendant la guerre, elle, me semble une femme de notable tout ce qu’il y a de plus détestable. Péret, qui aimait déclencher des scandales pour essayer de déstabiliser cette bourgeoisie qu’il honnissait, m’aurait soufflé, s’il était toujours de ce monde, un plan pour secouer le cocotier des Montbrun. C’eût été certainement une bonne partie de rigolade. Malheureusement Péret n’est plus là depuis longtemps, de plus je suis trop timide et réservé pour me prêter à ce genre de barouf. De toute façon je dois faire exactement le contraire pour pouvoir les approcher sans les effrayer afin de revenir à Saint Saturnin avec des éléments.

Maintenant que je suis relativement près du but, au moins géographiquement, il me faut essayer de rentrer en contact avec les Montbrun. Les informations sur la thèse de Maurras par le fils me semble une planche d’appel. Puisque ce subterfuge a marché avec le félibre Couderle, je ne vois pas pourquoi le tour ne fonctionnerait pas une seconde fois. Je procède exactement de la même façon. Cabine téléphonique, si le toubib n’était pas dans l’annuaire, ça serait le comble ! Puis l’appel : je tombe sur la mère. Je lui ressors le même baratin en ajoutant que c’est Couderle qui m’a parlé d’eux et donné leurs coordonnées, puis je lui explique que mon souhait serait de rencontrer son fils Philippe car son travail universitaire pourrait m’être utile pour le mien, de plus d’après ce que l’on m’en a dit cette thèse mérite d’être lue et je remets une couche de compliments et une autre de balivernes qui semblent faire leur effet.

A la voix et au vocabulaire utilisé, je crois que ma première impression sur la mère Montbrun s’avère être la bonne. Maniérée, pédante, prenant des pauses, s’écoutant parler, elle surjoue la femme du docteur de campagne. Je la sens flattée par mes propos sur son fils. Elle hésite donc entre son aspiration à me tenir à distance pour que je ne lui coupe pas son dimanche après-midi et le désir de faire briller sa famille en me recevant.

Elle me dit que j’aurais dû prendre un rendez-vous. J’ai envie de lui répondre que je ne suis pas malade et n’ai pas besoin d’un médecin mais je fais tourner sept fois ma langue et justifie mon attitude cavalière par le fait que j’étais chez Couderle et qu’une rencontre aujourd’hui m’éviterait un déplacement supplémentaire entre Montpellier et Boulvezon.

Je touche au but mais je perçois encore un écueil. Il est réel. Elle m’explique son fils est sorti pour quelques heures, elle me propose de passer en fin d’après-midi si je le peux. J’approuve, feignant le souhait d’aller voir quelqu’un d’autre auparavant à Maillane. On cale une heure précise comme si nous allions prendre l’avion et je raccroche.

J’ai devant moi, trois heures à tuer et hors de question que j’aille rendre un culte à la statue de Mistral ! Depuis quelques jours et le début de ma nouvelle activité, je fréquente assidûment les bistrots. Je ne vais pas déroger à cette nouvelle habitude et qui sait, j’en apprendrai peut-être un peu plus sur la famille Montbrun. En passant sur la place du village j’ai aperçu un café, avec un peu de chance, il sera ouvert le jour du seigneur, même après la messe.

Effectivement la devanture du troquet aux allures de zinc de bled est ouverte. Je pénètre en me souvenant du bar marseillais de la veille. J’ai l’impression de me retrouver dans le même univers, quasiment les mêmes vieux reproduisant les mêmes gestes avec un brin de curiosité en plus à mon entrée. Une télé dans un coin retransmet les courses. Visiblement certains attendent le tiercé avec impatience. Je commande un café en jetant un œil sur les chevaux, l’autre sur les humains. Deux mille quatre cent mètres plus loin, la tension s’est apaisée.

Plus personne ne pense à moi et les habitués échangent quelques bons mots à propos de leurs pronostics sur tel ou tel canasson. Je surmonte ma timidité et fais un bon mot à haute voix pour me faire accepter du groupe. J’ai repéré deux vieux peu intéressés par le P.M.U. et qui semblent avoir envie de parler aux étrangers. Mis en confiance par ma boutade, l’un des deux se rapproche un peu et me demande si je suis un touriste.

Mon travail d’approche a fonctionné. Je débite pour la troisième fois de la journée le même baratin sur la Provence, ses poètes, sa langue, sa culture et patin et couffin. Je sens que mon tout nouvel ami adhère à mon discours. Il continue son interrogatoire. Je lui dis ce qu’il veut entendre... la rencontre avec Couderle puis mon rendez-vous à venir chez les Montbrun. J’ai glissé cette dernière phrase pour tester un peu leurs réactions. L’homme qui depuis tout à l’heure essaye d’entrer en communication avec moi se contente d’alimenter la conversation de façon anodine ; par contre, l’autre vieux qui ne s’intéressait pas non plus aux chevaux et qui, depuis le début notre dialogue, restait silencieux, s’immisce dans notre discussion. Je perçois très bien que c’est le nom des Montbrun qui l’a fait sursauter. Il veut savoir pourquoi je vais les rencontrer, les Montbrun. Je lui ressers la thèse du fiston et mon goût pour les lettres provençales. Ce n’est qu’un demi-mensonge. Il veut savoir si je les connais bien, les Montbrun. Je lui réponds que je me suis servi de Couderle comme intermédiaire. Je vois que ma réplique fait plaisir à mon interlocuteur qui insiste beaucoup pour être bien sûr que je ne sois pas un intime ou une relation de la famille.

Comprenant qu’il veut que je lui confirme que nous ne sommes ni parents, ni amis, ni même connaissances lointaines, j’appuie lourdement sur le fait que c’est presque par hasard que je vais les rencontrer.

Une nouvelle barrière psychologique vient de tomber, ma dernière phrase a comme levé un tabou. Le vieux client du bistrot, pensant qu’il n’a pas affaire à quelqu’un du « clan » Montbrun, veut vider son sac. Peut-être qu’il a même espoir que je répète ce qu’il va me dire pour bien montrer son hostilité envers eux.

Après m’avoir demandé si je savais qui était vraiment « le bon docteur Montbrun », amorce de discours qui, en général, est signe avant coureur d’une descente en règle, il commence son histoire.

Il me raconte la fin d’un vieux garçon surnommé « Boulard » qui mourut sans héritier direct. S’ensuit une digression un peu longue sur  le fameux « Boulard », le pourquoi de ce sobriquet, sa vie résumée, sa gentillesse, son goût un peu trop prononcé pour le pastis, enfin une conversation de bistrot que je me dois d’écouter attentivement si je veux connaître la suite qui peut me plaire. Il en arrive au « chant du cygne » : « un jour, il n’a pas ouvert ses volets, on a enfoncé la porte, il était mort dans son lit. »

Cette entrée en matière pour en venir à la maison de « ce pauvre Boulard ». « Une belle demeure de maître, certes un peu délaissée car Boulard n’entretenait pas trop mais bien placée, bien exposée, une bonne affaire... »

Le vieux m’explique alors que son petit-fils avait fait les démarches pour l’acheter. Seulement au passage devant le notaire pour signer un compromis de vente, Montbrun, l’adjoint à l’urbanisme, avait téléphoné alors que le jeune acquéreur se trouvait dans le bureau de l’officier public pour casser la vente en prétextant que la commune de Boulvezon préemptait le bien. A ce stade de la conversation, l’homme m’explique qu’une mairie a le droit de le faire, que c’est une procédure légale et souvent justifiée mais que dans le cas présent, la maison n’a pas été vendue à son petit-fils mais pas à la commune non plus.

L’autre vieux qui s’était le premier rapproché de moi, tente amicalement de faire taire son collègue mais le second n’a visiblement pas l’intention de vouloir s’arrêter là. Il continue son récit, alors que je me rends compte que les autres clients, tout à l’heure affairés au déroulement des courses, commencent à s’occuper eux-aussi de la discussion. L’un interpelle celui qui me parle en lui demandant de ne pas raconter les affaires de Boulvezon à quelqu’un que l’on connaît pas.

Le vieux ne se laisse pas intimider. Il ajoute donc que l’acheteur n’était pas un particulier mais une « société avec un nom bizarre : Hélios ou Hélias, il n’est pas très sûr mais que l’on peut voir la plaque apposée sur la maison pour vérifier ».

Une nouvelle fois, les autres tentent de le rendre muet mais sans trop d’agressivité. Ils essaient de le dénigrer en laissant croire à une rivalité politique. « Tu l’aimes pas parce que tu n’as pas voté pour lui mais il ne t’a rien fait ! »

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