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15 avril 2008 2 15 /04 /avril /2008 07:14

Cette dernière phrase plutôt que de le calmer a eu tendance à démultiplier sa colère. Il en met une seconde couche et veut me faire comprendre que Montbrun est capable d'être l'auteur de combines. Il m'en révèle une : le paiement de la femme de ménage. Comme pour narguer les autres clients, il parle plus fort en démontant le mécanisme de l'arnaque : « Il lui fait des feuilles de visites médicales qui sont fictives et, elle, se les fait rembourser par la Sécu. Voilà comment elle touche son salaire. Toute la collectivité paie pour la propreté de la maison Montbrun ! ».

Maintenant les autres ont haussé le ton en disant que ces propos ne sont que des sornettes et qu'il n'a pas preuve pour avancer des choses comme ça.

Il se défend bec et ongles un moment mais ne voulant pas se fâcher avec ses amis, il finit par lâcher prise en concluant quand même par un « je sais ce que je dis ».

Si ça continue je vais être la cause d'une bagarre à Boulvezon ce qui n'est pas la meilleure façon de passer inaperçu. Je décide donc de quitter le café avant d'attirer trop l'attention sur moi. De toute façon, l'heure du rendez-vous est proche. J'ai fait dévier la conversation sur autre chose puis profitant d'une accalmie, je déserte le bistrot.

Je ne sais pas si l'on peut considérer comme preuves irréfutables les paroles du bon vieux du bar mais elles viennent quand même après  l'épisode de la maison en rénovation de la « rue des Pistoles à Marseille ». L'homme n'a pas parlé d'une S.C.I. mais d'une société, peut-être parce qu'il ne sait pas tout simplement ce qui se cache derrière ce sigle.

Le nom grec dans les deux cas est une similitude troublante même si ce n'est pas une preuve formelle. S'il a des parts dans la S.C.I de Boulvezon comme dans celle de Marseille, il a abusé de sa fonction d'élu pour faire capoter une transaction pour une autre à son profit. Il est dans l'illégalité car juge et partie. Je ne sais pas quel est le nom que donne la justice française à cette infraction à la loi mais si elle est avérée, ce dont je doute de moins en moins, ça ferait désordre pour la bonne ville de Boulvezon et pour, comme le qualifie le vieux du troquet, « le bon docteur Montbrun ».

 

Toujours peu ou pas d'informations sur Madame Montbrun mais il faut bien reconnaître que le monsieur est déjà un cas intéressant. Puis comme dit le proverbe : « qui se ressemble s'assemble ».

Il serait bien étonnant que la femme ignore tout des agissements de son mari. Une femme de ménage gratis, ça doit se voir dans les comptes familiaux. Je n'ai pas oublié aussi que la vieille espagnole à Marseille m'a parlé des visites de la fille de Gonzalez sur le chantier de la « rue des Pistoles ». Je suppose qu'un médecin généraliste de campagne doit être relativement occupé, donc forcément son épouse doit le seconder. Enfin il me semble.

J'espère avoir quelques réponses après ma visite chez eux. Je suis les indications que les clients du café ont bien voulu me donner pour rejoindre l'habitation des Montbrun. Je trouve sans trop de mal.

Un mas cossu annoncé par une haie d'honneur d'oliviers qui part de la route départementale pour finir à l'entrée de la propriété. Je passe sous le porche du portail et pénètre dans la cour qui laisse voir une bâtisse en L.

Dès le premier regard on perçoit bien que l'usage agricole de la ferme a été détourné pour en faire une habitation plus fonctionnelle mais qui conserve le cachet du rustique. Je ne suis pas encore descendu de la voiture que déjà me vient ce vers de Péret tirés de « la mort du signe » : « ils vivent avec les lapins et le bas de laine ». On pourrait croire qu'il a écrit ces lignes en observant la propriété des Montbrun. L'aspect paysan du lieu a été mis en scène avec les outils accrochés au mur comme dans le « museon arlaten » et une décoration bourgeoise faite de poteries monumentales et de statues d'inspiration classique. La pierre apparente côtoie la poulie qui a été maintenue à la porte du grenier pourtant transformé en chambre mansardée. La remise est devenue pool-house, la mangeoire du mulet un pédiluve.

D'une baie vitrée du rez-de-chaussée sort un jeune homme sensiblement de mon âge, un brin plus jeune peut-être avec un look de gentleman-farmer. Chemise blanche et pantalon noir sur chaussure de bateau. Les cheveux fins, une raie de côté qui lui donne un air de noble qui reçoit ses paysans au château. Je me crois revenu avant la Révolution française. Il ne tient pas compte de notre proximité générationelle et me la joue bon chic bon genre. Le vouvoiement est de rigueur et je suis invité à entrer dans la maison. L'intérieur est du même acabit que l'extérieur : pompeux, clinquant, m'as-tu-vu, très nouveau-riche. Une décoration surchargée qui, à trop vouloir en mettre plein les yeux aux visiteurs finit par être de mauvais goût.

Philippe Montbrun m'installe dans un salon. Le mobilier, sûrement acheté chez un antiquaire mais que l'on baptise meubles de famille est à l'unisson. En plus, pour couronner le tout, une trop forte odeur de cire envahit la pièce. Tout est trop beau, trop propre pour sonner juste.

Je suis maintenant au point dans mon numéro d'étudiant en recherche d'informations sur la Provence. Mon sésame Couderle a joué à plein. Je le lance sur le terrain de Maurras.

Il est vite intarissable. Insiste beaucoup sur l'influence mistralienne, l'amour pour la Grèce antique et le goût de l'ordre et de la raison. Tiens, tiens ! Encore les Hellènes dans le coup comme pour les S.C.I., une passion héréditaire. Par contre il passe sur l'antisémitisme, le soutien à Franco, Mussolini et la collaboration à la politique de Pétain. Bien entendu ce n'est pas moi qui vais l'entraîner sur ce chemin. Je le laisse dérouler sa logorrhée quasiment à l'infini.

Au bout d'un moment qui me paraît vite déjà long, j'essaie de le mener où je souhaite qu'il aille. Et par l'intermédiaire de Mithra (même s'il n'est pas un pur hellène) je reviens à la Grèce et à ses mythes.

Je lui ai donné du grain à moudre, il n'en demandait pas tant. Mis en confiance, il finit par parler des immeubles de son père qui portent tous des noms grecs (Gaïa, Héliades, Hélios, Olympiades, Ouranos..). J'en retiens quelques uns mais la liste est trop longue pour que je les mémorise tous.

Mon accueil à la propriété me semblait froid au départ mais les minutes aidant, j'ai le sentiment que Philippe Montbrun a cassé la glace. Il devient loquace alors qu'il me recevait, il y a peu, sans la moindre marque de sympathie pas même un sourire. Je suis le premier surpris mais après tout pourquoi ne pas en profiter ?

Soit je joue très bien la comédie, soit Philippe Montbrun est « bête à manger du foin » pour arriver à se persuader que j'ai les mêmes goûts, les mêmes penchants que lui.

Après un long monologue sur la Grèce il me demande si je connais le « R.I.M ». Devant mon ignorance, il m'explique que c'est un regroupement de jeunes et d'étudiants intéressés par la culture locale, la civilisation et la politique. J'apprends que sous ces trois initiales se cache le « Renouveau de l'Identité Méditerranéenne ». Je comprends très vite qu'en fait de rassemblement estudiantin, il s'agit tout bonnement d'un groupuscule facho. D'ailleurs à mots à peine couverts Montbrun décline les motivations de leur joyeuse équipe : retour à des valeurs intellectuelles saines, fidélité à la religion catholique, promotion de la culture provençale au détriment de toutes formes d'expressions non issues de la Région et surtout venues de l'étranger. Enfin il donne plus clairement un objectif de ses « enfants de troupe » le nettoyage du pays de toute personne qui ne répond pas aux critères de développement harmonieux du pays.

Il me semble avoir rapidement compris ce que pouvait être ce « R.I.M. » quand j'ai su que le « I » signifiait identité. Chez un certain nombre d'individu, le terme identité a toujours des relents nauséabonds. Alors quand on l'associe à Renouveau et à Méditerranéenne, on voit vite qu'il est question de nostalgiques du salut romain, d'une « mare nostrum » conquise et dominée par les européens, d'un retour au passé qui sent fort le « Travail, famille, patrie ».


Frédéric était très gêné par cet aspect de la culture occitane. Avant de me connaître, comme beaucoup de ses contemporains, il ne s'était jamais intéressé à la langue d'oc et encore moins à sa littérature (il en était pourtant féru) car pour lui, ce courant véhiculait forcément des valeurs archaïques : nationalisme, passéisme, traditionalisme...

Il me l'avait envoyé « en travers la gueule » dès que je lui avais fait connaître mes goûts.

Finalement après des heures et des heures de discussion, il avait fini par admettre qu'il n'y avait pas que ça. Certains avaient du mal à sortir de cet aspect mais dans l'ensemble on trouvait souvent autre chose que des odes aux temps passés. Quand il avait accepté d'entrer dans ma passion, il avait redécouvert que les troubadours écrivaient en occitan et non en français comme on le faisait étudier aux naïfs collégiens, et déceler des trésors qui rivalisaient avec la prose ou la poésie française. Peu de temps avant sa mort, il avait reconnu qu'il était revenu de son schéma mental qui lui interdisait de considérer l'occitan à égalité avec les autres langues et qu'il en faisait de même avec sa littérature...


S'il m'avait accompagné aujourd'hui, il aurait devant lui une preuve vivante de ce qu'il croyait être la norme dans ce milieu quand nous nous sommes rencontrés. Nous aurions débattu longtemps après cette visite à ce drôle d'oiseau, malheureusement je n'aurai personne avec qui échanger ce soir.

Je lui aurais dit, c'est sûr, mon regret d'observer qu'à cause de cette mouvance on jette le bébé avec l'eau du bain. Cette eau trouble, croupie, impropre à la consommation, cette mare glauque, pestilentielle et putride par sa puanteur fait oublier qu'il y a des sources fraîches, des ruisseaux capricieux qui descendent des montagnes ou des fleuves tumultueux qui se jettent dans la mer ou l'océan. Combien de temps encore les gens ne s'arrêteront que sur le trou de fange, de vase, de merde, c'est vrai bien mal odorant et se désintéresseront du liquide précieux et rare, limpide qui sourd encore en quelques endroits ?

Il est une évidence qu'il ne faut pas ignorer les fascistes, voilà que j'utilise le même vocabulaire que le vieux Gonzalez. Ils nous font assez de mal.

Rebaptiser Vitrolles en lui ajoutant le suffixe Vitrolles-en- Provence, était un travail de récupération d'un territoire, d'une culture, d'une population qui a discrédité tous ceux qui essaient de véhiculer la tolérance, le partage, l'ouverture sur les autres dans cette région. Avec toute la haine que portent ceux qui ont prémédité cet acte, allez ensuite dire qu'aucune guerre ne s'est faite au nom de l'Occitanie ou de l'occitan.

De même quand, dans une autre commune, on sert la messe en lengo nostro pendant que sur le parvis un groupe folklorique tourne autour de la souche brûlée et que le maire parle de « la grandeur et de l'éternité de la Provence », comment convaincre de la modernité d'une culture ?

Autre manifestation autour d'un feu, celui de la Saint-Jean sur les pentes du Mont Ventoux, cérémonie où des militants, des cadres du F.N. et des pseudos défenseurs de la langue communient ensemble en prônant des valeurs communes. Commémoraison qui donnerait des envies de meurtres à un partisan de Gandhi et de la non-violence.

Les groupuscules comme celui de Philippe Montbrun, antichambres des partis autorisés, rassemblements de nazillons viennent apporter la goutte qui fait déborder le vase.

Pendant que je me remémore tous les agissements de l'ultradroite dans la région, le fils Montbrun, emporté par son élan, continue de se lâcher et livre une tirade que ne renierait pas le « vil borgne ».

« Les bougnouls et les niacoués, tout ça dehors ! On a pas besoin de déchets ici ! ... »

Et de poursuivre.

Je ne sais si un rictus s'est immiscé involontairement sur mon visage mais en quelques secondes, le ton de Montbrun change. La conversation devient moins libre. Le regard du fils du « bon docteur » a changé à mon encontre. Est-ce qu'il a enfin senti, même si j'ai essayé de le dissimuler, que je n'étais pas du tout de la même chapelle que lui ou  s'est-il rendu compte qu'il avait un homo en face de lui ?

Dans la vie quotidienne, je fais tout mon possible pour ne pas trahir ma sexualité mais je sais que parfois, sans le vouloir, je n'arrive pas à cacher la réalité profonde de ma personnalité. Depuis mon arrivée à Boulvezon je me suis efforcé de faire encore plus attention que d'habitude mais j'ai pu relâcher ma garde. Un malaise s'installe.

 Avant que les choses n'aillent plus mal, je prétexte l'heure  avancée pour mettre un terme à la conversation. J'invente dans la précipitation de fausses coordonnées postales et téléphoniques pour que Philippe puisse me joindre, promets de reprendre contact pour montrer mon travail et de poursuivre cette discussion qui était passionnante.

Sans demander mon reste, je m'avance vers la porte de sortie. C'est ce moment-là qu'a choisi la mère de Philippe pour entrer dans la pièce. On se serait donné rendez-vous, on n'aurait pas pu être aussi synchrones.

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