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2 mai 2009 6 02 /05 /mai /2009 20:13

Notre Président de la République Nicolas Sarkozy n'aime pas la littérature, ni l'art en général. Est-il besoin de rappeler l'épisode relatif à « la princesse de Clèves » ? Le pire c'est qu'il s'en vante ! Dernièrement en Espagne il mettait sur le même niveau Pablo Picasso et ... Zinédine Zidane ! Nous ne sommes pas comme lui. A l'occasion du second anniversaire de son arrivée à l'Elysée nous avons donc décidé de célébrer en honorant l'écrit plusieurs événements d'importance n'ayant d'ailleurs par forcément de rapports les uns par rapport aux autres.

-         Les 50 ans de la mort du poète surréaliste Benjamin Péret

-         Les 10 ans du PACS

-         Les presque 90 ans du PCF

-         Les 150 ans de « Mireille » de Frédéric Mistral

-         Les 90 ans de l'épidémie de grippe espagnole qui emporta Apollinaire

-         Les quasi 10 ans de la mort de l'auteur marseillais Jean-Claude Izzo (le père de Fabio Montale)

-         Les 70 ans de la Retirada (exil des Républicains espagnols)

-         Les 700 ans du Pont médiéval de Pont Saint Esprit

-         Le 70e anniversaire de la naissance de Manuel Vasquez Montalban (père du détective Pepe Carvalho)

-         Les 150 ans de Jean Jaurès


On a mélangé tout ça et le résultat est un polar surréaliste d'inspiration méditerranéenne « Goût Tomate »


Au dix- neuvième siècle de grands romans ont été publiés en roman-feuilleton dans les journaux de l'époque aujourd'hui soyons modernes et surréalistes

c'est sur notre blog et toujours sur le principe du feuilleton que nous vous invitons à découvrir cette chronique de notre époque formidable !

Jean-Bernard Pouy (qui connaît bien le Gard rhodanien : cf RN 86) rappelle dans sa récente « Brève histoire du roman noir » que le polar ou roman noir est  un genre de littérature populaire qui est apparu avec la crise de 1929.

Il était donc indispensable dans notre contexte d'apporter de nouvelles pages à ce genre qui est à la fois une expression populaire et une critique sociale.

A découvrir sans tarder.


Sur la colonne de droite de ce blog, sous la rubrique « Calendrier » vous pouvez découvrir la rubrique « Goût Tomate ». Sélectionnez les épisodes qui s'ajouteront au fur et à mesure de la diffusion. Bonne lecture à tous !

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27 avril 2008 7 27 /04 /avril /2008 18:45

Chap. 1 : "Les morts et leurs enfants"


Les premiers mots qui me viennent, alors que je commence cette introspection écrite, ne sont pas miens.

Je devrais prendre ce signe comme un manque de personnalité mais je sais que mon "moi" comme disent les psychanalystes, même s'il a été plus souvent qu'à son tour étouffé, respire encore. C'est le poème "Les morts et leurs enfants" de Benjamin Péret qui a fusé hors de mon esprit dès que je me suis installé à la table :


"Si j'étais quelque chose

 non quelqu'un

je dirais aux enfants d'Édouard

fournissez

et s'ils ne fournissaient pas

je m'en irais dans la jungle des rois mages

sans bottes et sans caleçon

comme un ermite

et il y aurait sûrement un grand animal

 sans dents

avec des plumes

et tondu comme un veau

qui viendrait une nuit dévorer mes oreilles

 Alors dieu me dirait

tu es un saint parmi les saints

tiens voici une automobile

 L'automobile serait sensationnelle

huit roues deux moteurs

et au milieu un bananier

qui masquerait Adam et Eve

faisant

 

mais ceci fera l'objet d'un autre poème »

 

Pourquoi les mots de Péret ont-ils surgi de mon inconscient ? J'en ai bien une petite idée, plus qu'une petite d'ailleurs, je connais trop bien les raisons de cette omniprésence dans mon esprit de la poésie de Péret. Pourquoi ce texte plutôt qu'un autre ? Ce n'est pas non plus dû au hasard.

Précisément je reviens des obsèques de mon père.

Le mort c'est lui et l'enfant, c'est moi. « Ca » ne colle pas complètement au poème de Péret car je suis l'enfant unique de ce mort. Singulier et non pluriel, déjà la réalité s'éloigne de la littérature et heureusement qu'il en est ainsi car, quand on a comme moi un quotidien si triste, quelle bouffée d'oxygène que d'avoir un autre monde pour s'y réfugier !

Enfin... au moins me voilà libéré de ce fardeau paternel encombrant. Bien des moralistes s'offusqueraient de tels propos qu'ils qualifieraient d'indignes dans la bouche d'un fils mais il y a bien longtemps que je me « fous » de ce que pensent les moralisateurs et autres bien-pensants en tout genre. Ignorer la pensée de la norme m'a certainement sauvé la vie.

Le seul sentiment que j'éprouve aujourd'hui après le décès de ce père, c'est celui qui me revivifie un peu et m'oxygène beaucoup, la certitude de savoir que la personne qui m'a empêché toute la vie d'être moi-même ne sera plus un obstacle à mon épanouissement, si tant est que je puisse un jour accéder à un bonheur qui m'a évité soigneusement pendant des années.

Ce n'est pas une méchanceté naturelle qui me fait m'exprimer ainsi mais un vécu douloureux. Le rôle dévolu aux parents n'est pas de nuire  à l'épanouissement de leur progéniture mais quelquefois c'est un droit qu'ils s'adjugent. Les arguments avancés sont toujours les mêmes : le bien des enfants, la lutte contre quelques démons prêtés plus ou moins injustement à leur descendance... Mon paternel n'a pas dérogé à cette règle. Le résultat n'a pas forcément été à la hauteur de ses espérances mais sa persévérance et sa ténacité, elles, n'ont jamais fléchi. Ce n'est donc pas une surprise si je peux dire aujourd'hui, certes sans haine, mais aussi sans culpabilité, que sa mort est un soulagement pour moi, plus encore, une libération.


Dans "Les morts et leurs enfants" Péret termine par "mais ceci fera l'objet d'un autre poème". Ce vers final nous renvoie à autre chose. Dans la réalité qui est mienne je ne pourrai me séparer aussi facilement de mon père. Une fois sa dépouille pourrie et mangée par les vers, il me hantera encore et même s'il ne fait pas l'objet d'un poème, je n'aurai plus la possibilité dans un avenir proche d'éluder la question paternelle. Pour l'instant je préfère m'attarder sur Benjamin Péret, beaucoup plus digne d'intérêt à mes yeux que mon géniteur. Longtemps, j'avoue mes lacunes, j'ai ignoré complètement l'existence de ce poète. On a toujours une part de responsabilité dans ce que l'on ne connaît pas ou dans ce que l'on ne sait pas faire mais la culture n'est pas inscrite dans le patrimoine génétique d'un individu, on la lui inculque, enfin en principe. Je peux donc imputer ce manque à une société qui ne devrait pas laisser sa jeunesse dans la méconnaissance de la poésie subversive mais la nôtre a- t-elle intérêt à en faire la promotion sous peine de voir renverser l'ordre établi ? En tout cas j'étais passé à côté pendant mes années de minorité. De mes souvenirs d'école, je n'ai retenu comme poésie attribuée à un surréaliste que "la fourmi de dix-huit mètres" de Desnos et rien d'autre... !

Sans la rencontre de ma vie, je serais certainement resté, comme nombre de mes contemporains, vierge d'un savoir, certes pas nécessaire pour faire marcher les fonctions vitales (au quotidien) mais indispensable pour faire tomber les barrières mentales peu propices à mon éclosion.

Qui connaît Benjamin Péret aujourd'hui ? Bien peu de monde, je crois. Un écrivain à la célébrité posthume relative, très relative. Je ne me souviens pas d'avoir entendu prononcer son nom à la télévision ou alors ça devait être sur le service public à une heure bien tardive.

Si l'on prononce le mot "Péret" dans la direction d'un spectateur assidu de la première chaîne privée de télévision, je suis sûr qu'il entendra Perret Pierre, le chanteur, parfois un peu poète mais surtout connu pour ses chansons argotico-comiques. Un type sympa aimant la bonne chère et qui peut prendre des accents pathétiques tout en restant populaire. Le public du canal appartenant au groupe spécialisé dans la maçonnerie ne peut l'ignorer, il passe certainement déjà à ses yeux pour un presqu'intello avec ses histoires de dictionnaires mais pas non plus pour un membre de l'académie française. Il ne peut pas faire régulièrement les "prime" des émissions de variétés mais de temps en temps, ça rehausse le niveau. Il représente même l'alibi idéal pour invoquer le mieux disant culturel.

Si l'on renouvelle l'expérience avec un habitué de la seconde chaîne, il y a fort à parier qu'il pensera à Perret Auguste si au préalable on a précisé que l'on n'attend pas Pierre, car il ne faut pas trop fantasmer sur l'énorme différence entre l'audiovisuel public et privé. Mais enfin il est indéniable qu'au niveau où calera le fidèle de la chaîne qui crée du temps disponible pour Coca-Cola, l'habitué de l'autre maison (qui, elle, n'est pas de maçon) aura encore quelques arguments à faire valoir surtout s'il cumule l'écoute du service public télévisuel et radiophonique.

Celui qui prêtait une oreille attentive à la tranche d'informations du matin il y a encore peu de temps sur la radio publique ne peut ignorer qu'Auguste Perret était un architecte. C'est fou comme le présentateur les aime ! Je ne sais si cette passion lui vient de famille ou si c'est une vocation manquée, en tout cas, dès qu'il le peut, il nous fait l'article sur un de ces fantastiques bâtisseurs, constructeurs, créateurs, ordonnateurs de l'espace... J'en passe et des meilleures... Je n'arrive pas à comprendre comment on peut s'enthousiasmer pour un architecte. Pour donner un exemple, les merveilleuses réalisations des années soixante sont dynamitées aujourd'hui, et sans tomber dans l'excès, il suffit d'être un tant soi peu usager pour savoir que les concepteurs de ces beaux projets n'ont pas vraiment réfléchi aux utilisations futures. Par charité que d'aucuns nommeraient chrétienne, mais certainement pas moi, je n'évoquerai pas des cas où tout se délabre au fil des ans voire finit par s'écrouler ! Mais voilà que je suis mauvaise langue et puis il en faut pour tout le monde.

Le public de la chaîne culturelle franco-allemande d'Arte sera peut-être en mesure de répondre favorablement à l'expérience mais après réflexion, car dans l'immédiateté de la première réponse, c'est Jacques Perret qui viendra à l'esprit du téléspectateur-intello car les romanciers sont toujours plus reconnus que les poètes et les anarchistes de droite ont aussi, sans trop que l'on sache pourquoi, plus d'échos que les intellectuels d'extrême gauche.

Le spectateur de M 6 répondra à "Péret" par un "bof" sans complexe car il ignore tout ce qui a plus de quarante ans sauf si ça rentre dans le cadre de la nostalgie des sixties. Non seulement dans les générations nouvelles on n'a pas d'états d'âmes à s'avouer inculte, mais c'en est presque une fierté. Ceci n'est pas un propos de vieux con qui fait du racisme anti-jeune car j'appartiens moi-même à cette tranche d'âge.



 

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27 avril 2008 7 27 /04 /avril /2008 18:32

On peut très bien vivre sans connaître Benjamin Péret. Il est aussi très possible de couler des jours heureux en ignorant l'Histoire. Tout dépend des exigences de liberté que l'on a. Les miennes sont importantes et j'ai eu la chance que l'on me fasse découvrir Péret. Comment le décrire sans refaire l'article encyclopédique ? Comme me l'a présenté Frédéric la première fois que nous l'avons évoqué ensemble : un poète du vingtième siècle, un surréaliste, mais pas le plus connu, un être engagé qui pense que l'on doit faire réellement la Révolution, un homme qui ne se renia jamais et ne perdit jamais ses idéaux sans toutefois que son œuvre ne tombe dans le prosélytisme. Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, c'est pour ça que Frédéric l'avait choisi comme sujet de thèse universitaire. Insidieusement, il est devenu mon compagnon de solitude et voilà pourquoi ses mots sont venus à moi avant les miens, quand j'ai commencé la rédaction de ce journal intime.

Ah !... Enfin .... pouvoir transcrire sur papier mes joies, mes peines, mes états d'âmes... Exercice souvent réservé aux ados (je n'ai plus tout à fait l'âge), aux filles (suis-je vraiment un homme ?), aux névrosés (là il n'y a aucun doute, je réponds aux critères de sélection !).

Je m'autorise finalement ce que mon père m'a toujours interdit. J'aurais pu enfreindre mais il m'avait déjà surpris, il y a une dizaine d'années, à m'adonner à ce petit travail de catharsis et le résultat avait été terrible. Une humiliation épouvantable, pire que de se faire surprendre par sa mère en train de se branler discrètement dans sa chambre. Enfin je suppose, car je n'ai jamais connu ma mère.

Comme de coutume mon père avait su trouver les mots qui blessent, ceux qui font mouche et qui bien longtemps après, instillent encore un puissant venin. Je les entends encore : "tu n'as pas honte de gribouiller des âneries pareilles comme ces tapettes qui font des écritures de gonzesses...". La suite était du même tonneau. Il avait dû pendant mon absence fouiller dans les tiroirs de mon bureau et se plonger dans la prose de ce collégien de troisième que j'étais, mal dans sa peau, à la recherche de sa véritable personnalité et sans aide morale d'un proche pour partager ses tourments. Cet épisode m'avait fait définitivement comprendre (je pense en fait que je le savais déjà depuis longtemps) que ce ne serait pas avec mon père que je pourrais essayer de m'épanouir et de régler mes problèmes pour m'envoler léger vers l'âge adulte.

Le cahier, malmené, froissé, brandi comme des écrits hérétiques sous l'Inquisition, finit déchiré sous mes yeux. Ce fut ma première et dernière expérience de journal intime. J'entame dix ans plus tard ma seconde : il était temps encore un peu et il n'était plus question de journal mais de mémoires.... Quelle bonne idée il a eue là mon père, de mourir !

 

Voilà donc qu'avec ce contre temps parental, j'ai pris beaucoup de retard dans la rédaction de ma vie quotidienne et pour retrouver moi-même le fil conducteur, j'aime autant reprendre depuis le début c'est à dire commencer par ma naissance.

Pour l'état civil je suis Camille Eggimann, né à Bagnols sur Cèze dans le Gard, le 26 mai 1980, de sexe masculin. Voilà en gros ce que l'on peut lire sur ma carte d'identité ou sur tout autre papier officiel mais ça ne donne pas beaucoup d'éléments concrets pour me décrire. Il est à noter que dès ma naissance, mon père ayant eu la bonne idée de m'affubler d'un prénom mixte, l'ambiguïté sur le caractère masculin ou féminin de ma personne était déjà là. Attention, le choix du nom de baptême n'a eu aucune incidence sur ma personnalité même si cette hypothèse, comme bien d'autres d'ailleurs, a dû faire réfléchir mon père plus d'une fois. L'explication est beaucoup plus simple : Dame Nature en se baissant sur mon berceau n'a pas dû être assez généreuse avec moi en testostérones. Toutes les autres théories plus ou moins farfelues sur l'homosexualité sont dans le meilleur des cas risibles, au pire dangereuses. Comble de malchance pour moi, en plus d'arriver « pédé » sur cette terre, cas de figure qui n'est pas le plus facile à vivre, mon apparition a eu pour conséquence de précipiter la disparition de ma mère. En effet, la grossesse a été un élément déclenchant ou accélérateur (je ne sais pas vraiment car je n'ai jamais bien connu les détails de cet épisode douloureux) d'une maladie incurable qui a emporté ma mère quelques semaines seulement après ma naissance.

On peut rêver mieux comme atterrissage ! Et je n'ai pas encore tout dit ! Je n'ai donc aucun souvenir de ma mère. La famille de ma génitrice ayant coupé les ponts avec mon père, je n'ai pas non plus d'ascendance maternelle dans la génération du dessus. Dans ce contexte, difficile de se créer une identité, des racines ou tout simplement une histoire individuelle. Je n'ai pour m'accrocher un peu à cette mère que quelques photos assez rares, en couleurs mais sans éclat particulier. Même si elle n'est pas morte en couches pour moi, c'est tout comme. Quand un film décrit une scène de naissance dans l'ancien temps, il est fréquent d'entendre celle qui joue le rôle de l'accoucheuse demander de mettre de l'eau à bouillir et de préparer des serviettes. J'ai souvent vu ce genre de séquences, peut-être bien que j'y fais plus attention qu'à d'autres mais aussi parce que les réalisateurs aiment beaucoup présenter ainsi cette situation. Je n'ai jamais vraiment compris à quoi pouvaient servir ces linges et ce liquide aseptisé mais s'y associent toujours chez moi des images de tortures avec cris, douleurs et vapeurs de fumée. De toute façon, même dans l'époque d'aujourd'hui, je n'ai jamais assisté à un accouchement, mais pour mon imaginaire, ça relève plus du tuage du cochon que de la sortie poétique de la rose ou du chou. Si je m'amuse un jour à tenir ce genre de propos dans le cabinet d'un psy ou d'un thérapeute quelconque, il faut s'attendre à ce qu'il me dise que j'ai été traumatisé par le décès de ma mère. Pas besoin d'avoir fait de longues études pour le comprendre ; même le rebouteux de la rue d'à côté pourrait faire ce diagnostic.

En dehors de quelques nounous, toutes affectueuses (mais on ne remplace pas facilement une maman), je n'ai eu comme vis à vis que mon père, lui-même solitaire. Pour une pièce de théâtre avec deux comédiens seulement, c'est une situation idéale pour des numéros d'acteurs : un huis clos angoissant, une atmosphère lourde, des situations pesantes. Tous les ingrédients pour faire un succès dans un établissement subventionné. Dans la vie réelle : pièce à oublier. D'autant qu'un des deux acteurs ayant une personnalité beaucoup plus forte, l'autre du coup se retrouvait étouffé, éteint, écrasé, soumis, anéanti.

Dire que je l'ai souvent entendu éructer qu'à cause du décès de ma mère il avait été trop gentil avec moi, qu'il m'avait couvé plus que de raison. Heureusement ! Sinon qu'est-ce que ça aurait été ?

Je l'accable, je l'accable, c'est facile maintenant qu'il est mort, mais il me faut être juste. Ce n'était pas un monstre. Je n'ai jamais été battu physiquement, je n'ai jamais manqué de rien matériellement ou de si peu, j'ai pu mener les études que je voulais entreprendre...

Une femme en Afghanistan, un arabe en Israël ou un syndicaliste dans une mairie "Front National" ont moins de marge de manoeuvres que je pouvais en avoir. Toutefois je ne pense pas être excessif en disant que j'ai manqué d'affection pendant mon enfance, de compréhension pendant mon adolescence et de marques d'intérêt dans mes premiers pas hésitants de jeune adulte. C'est ainsi : il me faut faire une croix définitive sur les rêves de garçonnet que j'ai pu illusoirement entretenir pendant des années.

Si j'étais neutre dans cette histoire et que je doive défendre les intérêts de mon père, je pense que je le présenterais comme suit : militaire tendance gendarme, septentrional ascendant alsacien, protestant chapelle luthérienne, divers droite de type RPF première et seconde mouture, veuf tempérament irascible. Avec un tel portrait, on peut aisément s'imaginer les difficultés que nous eûmes à cohabiter au jour le jour. Un bambin sevré d'amour maternel et frustré par la froideur d'un père à peu près aussi affectueux qu'une trousse à outils... L'enfant déstabilisé par la distance relationnelle imposée par l'adulte... L'ado révolté, confronté à l'incompréhension et la rigidité de l'incontesté et incontestable chef de famille... Pour résumer, des problèmes d'une banalité affligeante, certes accentués par le veuvage paternel et l'absence totale d'élément féminin ainsi que par une inflexibilité, conséquence d'une éducation trop stricte, trop formaliste héritée d'une société obsolète dont quelques vestiges demeurent comme les derniers dinosaures à la fin de l'ère secondaire.

Je n'avais ni l'opportunité, ni le loisir d'entrer dans un conflit dur, alors, telle l'anguille, j'évitais soigneusement les écueils et me faufilais entre les galets de la vie. Cependant il me fallait malheureusement de temps en temps accepter l'affrontement. Comme le jeune chien avec le chef de meutes, je feignais le combat pour me faire finalement terrasser par le mâle dominant.

De cette éducation il me reste quelques négatifs comme cette haine du fait religieux (notamment de cette austérité protestante) et de l'armée avec ses cohortes de bidasses enrégimentés.

Après l'avoir cité de mémoire, voilà que je me trouve des points communs avec Benjamin Péret : un amour de la liberté et un dégoût profond pour l'Église et l'Armée, deux institutions qui portent en elles les freins aux élans d'émancipation et de latitude dans l'appréhension de la vie. Un profil de révolutionnaire en somme, en toute modestie.

Dommage que je ne l'ai pas connu à l'époque où j'allais le plus mal, c'est à dire à l'adolescence, ça m'aurait peut-être aidé. A ce moment là j'étais en plein dans ma période rimbaldienne, (un manque d'originalité à coup sûr) mais que faire ? Quand on ne connaît rien d'autre, il faut bien faire comme tout le monde. Et puis passer sa crise avec Arthur, tout compte fait, ce n'est pas si mal. En y réfléchissant bien "le dormeur du val" et "les premières communions" comme torpilles contre l'Armée et l'Église, on a vu pire, non ? Et en cadeau « bonux », avec son petit Rimbault on vous offre le poète Verlaine, leur liaison orageuse, le coup de feu au poignet et "une saison en enfer". Bien sûr, cette histoire d'amour ne me laissait pas indifférent.  Elle me faisait à la fois peur et rêver. Une vraie relation par procuration comme je n'en avais jamais vécu et n'en vivrai peut-être jamais. Des rapports littéraires donc abstraits, très, très loin d'une situation réelle où le corps s'exprimerait pour de vrai. Quelque chose de rassurant finalement.

 

Je n'ai jamais vraiment eu conscience du moment où j'ai eu la révélation de mon homosexualité. Cependant je pense que mon père s'est très vite douté de quelque chose car j'ai toujours ressenti qu'il forçait le trait pour viriliser mon éducation. Le summum de la masculinité dans ma formation fut mon inscription au club local de football et mon obligation à suivre tous les matches à la télé.


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26 avril 2008 6 26 /04 /avril /2008 06:55
A Saint-Saturnin, comme dans nombre de villes et villages français, l'association sportive dévolue au foot était plus ou moins chapeautée par la mairie. Le père du maire en avait longtemps été le président, puis le président d'honneur, et les joueurs de l'équipe première, des adultes profitaient des largesses du premier magistrat pour occuper des emplois plus ou moins fictifs. Enfant, j'étais loin de tout ça... Courir après un ballon n'a jamais été ma tasse de thé, cependant, comme pour le reste, je l'ai fait avec sérieux et application. Il me manquait du talent. J'ai donc joué ailier : quand on est mauvais on vous fait toujours évoluer à cette place car un gardien-passoire vous fait perdre obligatoirement le match de même que des défenseurs trop perméables vous entraînent vers la défaite. Pour la victoire il faut un milieu de terrain créatif et un avant efficace. Les « tocards », on les dispose donc sur les ailes. A l'avant, même s'ils ne font rien de bon, leur incompétence n'a pas d'incidence sur le résultat de la partie. Avec l'âge, je suis passé de l'aile droite à l'aile gauche, puis au banc des remplaçants où finalement j'aurais pu me trouver assez bien sans les aléas climatiques. Toutefois mon père ne s'est pas résigné :

 

" - Le foot, si ça ne te fait pas de bien, ça ne te fait pas de mal !"

Finalement ce n'est pas jouer qui m'a posé le plus de problèmes, c'est devoir enfiler le maillot de supporter. Comme nous étions dans le sud et que c'était l'équipe à la mode à cette époque, mon père a voulu que l'on suive l'Olympique de Marseille. Quand je dis « suivre », je devrais dire virtuellement car on n'a jamais mis les pieds dans les tribunes d'un stade. Non, nous, on était des inconditionnels des Phocéens, mais à la télé ou à la radio.

 

Alors que les veilles d'école, je devais aller me coucher tôt avec l'interdiction formelle de regarder quoi que ce soit à la télé, quand il y avait foot, je devais voir la rencontre même s'il y avait des prolongations ou des arrêts de jeu interminables. Une corvée ! Quel supplice avec comme apogée : Jean-Pierre Papin. Pour les "fouteux", c'est l'idole des années quatre vingt dix ; pour moi : c'est un cauchemar. C'est pas sympa pour lui mais physiquement il m'a toujours déplu ce gars et comme intellectuellement je n'attendais rien non plus, il a été le symbole de ces soirées de foot obligatoire où se mêlaient ennui et dégoût. 

 

Toute mon éducation pendant mon enfance et mon adolescence a été à l'image de cette contrainte, j'ai subi les désirs de mon père tout en essayant de grandir sans trop souffrir. Avec ou sans mère, je pense que les choses n'auraient guère été différentes à cause d'une part de la personnalité de mon père, d'autre part de la mienne. Être un enfant fragile avec une féminité très exacerbée entraînait déjà des difficultés et les choses n'allaient jamais en s'arrangeant au fur et à mesure que l'adolescence prenait le dessus. Une telle situation devient paroxystique quand on ne sait plus qui on est et ce que l'on veut, réalité normale d'un ado mais aggravée par l'éveil d'une sexualité non-conforme à la norme.

 

J'ai longtemps été une personne mal dans ma peau, ne me sentant pas sûr de moi, physiquement mal à l'aise, doutant de tout, complexé à mort, déprimé, quasi-suicidaire. Le portrait type du jeune « pédé » qui ne s'accepte pas. Avec un peu de recul, l'impression que j'ai aujourd'hui, c'est d'avoir toujours joué la comédie, tout le temps et à tout le monde sans vraiment tromper personne. M'obligeant à me montrer plus viril que je n'étais réellement, surtout avec mon père et au collège, je m'inventais aussi des amies, des loisirs, des vacances... (un vrai mythomane) à la seule fin de paraître comme les autres. La normalité, voilà l'écueil insurmontable, une montagne que je n'ai jamais pu arriver à gravir avant mon départ de Saint-Saturnin.

 

Étouffant à la maison, à l'école, à Saint-Saturnin, je n'ai commencé à vivre qu'au moment où, bac en poche, je suis parti pour la fac et la ville de Montpellier.

 

Ce fut l'occasion de me sortir du carcan paternel et d'enfin exister comme je l'entendais. Oh ! n'allez pas croire que j'avais des envies extravagantes, non, tout simplement assouvir le besoin de m'affranchir et d'être un peu maître de mon destin.

 

Malgré la discipline qu'il m'avait toujours imposée et le peu de liberté qu'il m'accordait, mon père m'a laissé choisir mes études. Les quelques maigres fois où j'ai pu décider par moi-même sont si rares qu'elles méritent d'être citées. J'ai donc opté pour la seule chose qui m'intéressait dans la vie, la littérature, et me suis inscrit en fac de lettres.

 

Je ne sais de quoi sera fait demain mais à l'instant où j'écris, je peux dire sans l'ombre d'une hésitation que les années que j'ai passées à Montpellier furent les plus belles de mon existence et ceci même si la fin de cette période a été des plus douloureuses. Je me souviens de l'ambiance de la fac de lettres, décontractée, où les beaufs n'étaient pas majoritaires, un état d'esprit jeune et ouvert. Même si ce n'était pas ce dont j'avais rêvé, être dans un temple du savoir où je pouvais entendre et lire des choses qui élèvent, alors que j'avais eu la désagréable impression auparavant de côtoyer la « connerie humaine » au plus près me donnait satisfaction.

 

Une sensation de liberté et d'indépendance : c'est peu et beaucoup à la fois, la fin d'une période d'emprisonnement mental.

 

Être dans une grande ville par rapport à notre petit Saint-Saturnin permettait de ne plus subir l'étouffement d'une communauté relativement restreinte où tout le monde connaît tout le monde. Dans ce système clos, le poids social du groupe est plus fort que dans une agglomération qui, par son ampleur, laisse une latitude à l'individu qui y gagne en autonomie. Certains y verront une solitude mais d'autres vivront cette indifférence collective comme un avantage notamment quand ils ont comme moi un comportement qui suscite le jugement négatif d'une société réactionnaire, coincée ou rigoriste. Pour faire simple, à Montpellier je n'étais plus le fils du gendarme, pas plus que l'ancien élève de telle école ou le membre du club sportif... Je n'étais personne et ça me plaisait bien. Je voyais aussi d'un bon oeil cette possibilité de repartir de zéro, non que j'aie un passif, un quelconque casier judiciaire, mais tout simplement le mal-être de mes années d'enfance et d'adolescence pouvait se dissoudre dans la masse. Une vie nouvelle commençait. Un homme nouveau, en quelque sorte, sans tare ni passé. Comme une sorte d'amnésique heureux d'avoir tout oublié.

 

Il faut bien reconnaître que l'atmosphère de la fac permettait ce bien-être. Il y avait bien les fachos du syndicat étudiant d'extrême droite qui, quand ils le pouvaient, cassaient de l'arabe, du pédé ou du coco, mais ils étaient loin d'être majoritaires et j'ai eu la chance d'échapper à leurs coups de crosses. Je ne me fais pas d'illusion : dans ce climat de tolérance, il y avait un soupçon de modernité d'esprit mais surtout dominait un égoïsme, propre à la fin d'adolescence, qui faisait qu'à part ses copains, on se foutait bien de ce qui se passe à côté. Mais, comme on dit en football, "y a que le résultat qui compte" donc cette situation me convenait bien.

 

Paradoxalement, j'ai acquis une part de liberté en travaillant. On a l'habitude dire que le travail, c'est aliénant ; en ce qui me concerne, ça m'a permis d'accroître mon indépendance, notamment financière. Parallèlement à mes cours de Deug, j'avais trouvé, grâce à une petite affiche posée sur les murs de la fac, un boulot à la bibliothèque universitaire. Je faisais partie de ces quelques étudiants qui avaient eu la chance de trouver un job sans sortir de l'université.

 

Mon travail (peu stressant) consistait, en autres, à aller chercher dans les réserves les livres que demandaient ceux qui fréquentaient la B.U. La chef était plutôt sympa, les horaires convenaient avec les heures de cours et j'en bavais énormément moins que ceux qui faisaient managers chez Mac-Do.

 

C'était aussi l'occasion de lutter contre une timidité maladive qui m'avait empoisonné l'existence depuis aussi longtemps que je me souvienne et avec laquelle je m'étais toujours beaucoup battu sans jamais avoir les résultats escomptés. Avoir des contacts fréquents avec des gens m'obligeait à parler plus, à vaincre ce trait de caractère qui me faisait souvent fuir devant des situations nouvelles qui me déstabilisaient.

 

Au fil du temps, j'ai même finalement fait une rencontre inoubliable qui devait me bouleverser définitivement. Un changement radical par rapport à tout ce que j'avais connu auparavant.

 

J'ai tout fait pour oublier ce qui retournait de l'intimité avant mes années universitaires mais les souvenirs reviennent à ma mémoire à l'occasion de ce journal.

 

Pendant longtemps j'ai tenté de mettre le couvercle sur mes premiers émois sexuels en niant notamment mon homosexualité. Déjà, pour un ado de base, les débuts ne sont pas toujours vraiment simples pour quelqu'un qui se cherche sans se trouver, les difficultés sont multipliées par cent. Il a bien fallu tout de même qu'un jour j'en vienne à me résigner et accepter ma vraie nature. Les choses n'ont pas été beaucoup plus aisée mais on s'accommode de tout...

 

Saint-Saturnin n'ayant pas choisi entre le statut de ville ou de village, l'absence de lycée oblige les élèves à poursuivre leur scolarité vers les quinze ans, dans la ville natale de Rivarol à quelques kilomètres de là.

 

La classe de seconde a donc été l'occasion pour moi d'élargir un peu mon horizon et de me convaincre qu'il faudrait bien que je franchisse le pas un jour ou l'autre. Entre cette prise de conscience et le passage à l'acte, il m'a fallu encore pas mal de temps.

 

Je n'ai plus vraiment souvenance des détails ni des circonstances qui m'avaient amené là, mais un jour, je finis par atterrir dans les WC publics qui se trouvent près de la Poste, lieu de rencontre habituel des homos dans la ville de l'auteur du "Discours sur l'universalité de la langue française".

 

Un seul mot pour décrire cette première expérience : sordide !

En fond olfactif, des odeurs d'urines et d'excréments ;   ambiance et climat : imaginez des lieux d'aisances collectifs ; l'acte en lui-même : des ébats furtifs à la dérobée entre crainte de se faire surprendre et volonté de prendre du plaisir malgré tout.

 

Une première qui serait renouvelée bien des fois avec néanmoins toujours les mêmes appréhensions et le même dégoût.

 

Ce que j'allais vivre à Montpellier n'aurait radicalement rien à voir avec toutes les aventures foireuses vécues par le passé. La raison majeure ne tenait en rien à la situation ni aux conditions mais à un facteur qui avait toujours manqué à mes relations antérieures : l'amour.

 

Ma culture luthérienne même refoulée a fait des ravages. Elle m'interdit de m'épancher sur ma vie amoureuse, encore moins sur mes ébats sexuels. Tant pis pour l'acquis, laissons parler l'inné ! Je n'oublierai jamais la première fois que j'ai aperçu Frédéric à la B.U. Assis derrière mon guichet, à peine occupé à coller des code-barres sur la tranche de bouquins, j'attendais que quelqu'un interrompe cette tâche et pour m'envoyer faire une recherche dans les rayonnages. Levant les yeux, après avoir entr'aperçu une silhouette qui s'avançait vers moi, je fus subjugué, sans qu'il n'ait encore parlé, par ce grand jeune homme gracile et d'une fausse indolence. Il ne ressemblait pas aux autres étudiants, peut-être parce qu'un peu plus vieux que ceux qui fréquentaient ce lieu. Je crois, surtout, qu'il différait par l'aura qu'il dégageait.

 


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25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 08:12
Goût Tomate épisode 5

D’une voix douce et posée, il me demanda « Nadja » d’André Breton que je m’empressai de lui apporter. En enregistrant son emprunt, je découvris son nom : Frédéric Grindel.

Il disparut avec cette même grâce que j’avais remarquée à son arrivée. Ce visage me disait quelque chose mais je n’arrivai pas à le replacer dans son contexte. Je n’eus la réponse à mon interrogation que quelques jours plus tard. En effet, je l’apercevais régulièrement car il donnait un cours à un groupe de premières années auquel je n’avais pas la chance d’appartenir. Après l’avoir vu entrer dans un préfabriqué qui faisait office de salle de cours avec un étudiant originaire comme moi de Saint-Saturnin, je pus rapidement en savoir plus sur lui. J’interrogeai mon collègue qui m’expliqua qu’effectivement Frédéric, étudiant de troisième cycle, tout en terminant sa thèse, donnait des conseils de méthodologie aux débutants.

 

Quelques jours passèrent. Il me faut bien avouer que sans lui avoir réellement parlé, sans le connaître non plus, j’étais troublé par cet homme. Comme certains devaient le dire assurément pour moi, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’il était homo. Je n’avais aucun doute là dessus. Est-ce la célèbre audace des timides ou une autre motivation inexpliquée mais je trouvai un prétexte pour l’aborder. Je l’avais revu pour la première fois à ce fameux cours qu’il donnait. J’attendis la semaine suivante et, alors qu’il sortait de ce vieil algéco gondolé par le soleil et la pluie, je me présentai succinctement pour qu’il me remette dans la case « bibliothèque » et lui baratinai une histoire un peu farfelue sur des notes qu’un étudiant aurait oubliées dans le « Nadja » de Breton et en lui demandant si éventuellement il ne les aurait pas trouvées. Je ne sais pas s’il crut à mon mensonge ; en tout cas il m’invita dans son bureau pour feuilleter les pages du livre.

Sur le chemin qui nous séparait de la partie cours au local réservé aux enseignants, visiblement plus à l’aise que moi, il engagea une conversation de civilité. Il m’interrogea notamment pour savoir ce que je faisais à la fac. Quand un silence se glissa qui risquait de me gêner pendant les quelques dizaines de mètres qu’il nous restait à faire, je lui retournai la question.

Il m’expliqua qu’il était en train de mettre la dernière main à sa thèse qu’il devait terminer rapidement car il fallait bien la soutenir un jour. Je lui en demandai le sujet. A partir de là, il n’y eut plus aucun blanc dans nos échanges. Il s’engagea dans un long monologue qui ne fut  interrompu que par notre entrée dans son bureau. Cette thèse, ça sautait aux yeux était plus qu’un travail universitaire, une passion qui vous prend et ne vous lâche plus, vous dévorant tout votre temps libre et vos autres centres d’intérêt.  Les thèses ont souvent un titre qui montre l’érudition et la difficulté des recherches, celle-ci ne dérogeait pas à la règle : «L’influence de la guerre 1914-1918 sur la poésie surréaliste et sur l’engagement politique de Benjamin Péret ».

J’avoue qu’à la première audition, j’eus un peu de mal à cacher mon incompréhension sur le sujet et mon ignorance sur la personne de Benjamin Péret. Frédéric ne s’en formalisa pas, et après avoir agité « Nadja » dans tous les sens, combla mes lacunes en m’instruisant sur le surréalisme autour d’un café auquel il m’avait convié à la cafétéria de la fac. Je ne sais plus pourquoi et comment il m’avait invité. J’étais sur un petit nuage, je n’en suis descendu que beaucoup plus tard. Frédéric Grindel venait d’entrer dans ma vie, ou plutôt devrai-je rectifier, il m’avait autorisé à pénétrer dans la sienne...

 Joli et inoubliable privilège.

 

Les homos font beaucoup moins de chichis que les hétéros. Quand un homme cherche à séduire une femme, il la drague, l’autre fait semblant de ne rien voir, puis c’est la politique des petits pas pour arriver enfin à ce qu’ils se retrouvent au lit... ou dans un endroit différent d’ailleurs. Chez les pédés, on couche ensemble puis vient le moment où, si on en sent la nécessité, une relation se noue.

Avec Frédéric, on ne dérogea pas à cette règle. Le premier jour, après l’épisode du café, il y eut un repas pris en commun dans un petit restaurant de la ville et la soirée se termina chez lui. Ce n’est que le lendemain matin que nous commençâmes chacun de notre côté à nous préoccuper de savoir avec qui nous avions passé la nuit.

Je ne sais pas ce qui lui a plu en moi. Mon innocence peut-être, rien n’est moins sûr. Par contre, je suis en mesure de dire pourquoi au delà de son physique, je tombai amoureux tout de suite de lui. Sensible et cultivé, presque sans rien dire, il pouvait m’émouvoir. Il avait une humanité rare sans être dépourvu d’un humour fin mais féroce. Je ne savais presque rien de la vie, je sortais du lycée, je n’avais pratiquement jamais quitté le giron (terme mal choisi) de mon père, mon expérience était des plus limitées. Frédéric avait une demi-génération de plus que moi, et surtout un vécu à la fois plus important et beaucoup plus tragique.

Son histoire vint rapidement sur la table. Le premier soir, il avait insisté lourdement sur le préservatif, il avait un côté moralisateur comme un spot télé d’act-up. Je n’avais pourtant pas saisi tout de suite. Notre relation se mit en place avec une vitesse qui aurait dû m’inquiéter mais qui ne me gênait absolument pas. Je pense que c’était plutôt le contraire. Cependant Frédéric m’apprit qu’il était séropositif. Contaminé par une relation occasionnelle plusieurs années auparavant il n’avait pas encore développé le sida. Néanmoins il ne pouvait pas faire comme si l’oursin ne lui ferait jamais de mal. Pas encore actif dans son corps, le virus était omniprésent dans sa tête, l’empêchant d’envisager l’avenir avec sérénité.

 Notre relation fut altérée par cette situation ; il voulait m’aimer, mais par moment, il essayait de faire en sorte que je ne sois pas trop dépendant affectivement de lui en me repoussant. Plus le temps passait et plus ma dépendance grandissait, quand lui, de son côté, inlassablement me préparait à envisager son départ.

Toutes ces tentatives furent vaines, j’avais trop souffert pendant mon enfance. Je tenais son amour, je m’y accrocherais contre vents et marées. A n’importe quelle condition, quitte à y perdre mon âme. Au niveau où j’en étais, je ne pense pas que l’on puisse parler de sentiments mais de quelque chose de très difficilement définissable entre la servitude et la soumission.

Ces drôles de circonstances ne nous empêchèrent pas de vivre, j’en suis convaincu, une belle histoire.

A la fin de ma première année de fac, je me débarrassai de mon petit appartement pour habiter chez Frédéric. Bien entendu, je n’en dis pas un mot à mon père, qui continua à me verser de quoi me loger, argent qui fut utilisé pour le bien-être du « ménage ». Frédéric, tel un tuteur ou un grand frère, m’épaula pour réussir dans mes études, tout en partageant son temps entre ses cours et son travail de thèse. Perpétuellement insatisfait à ce sujet, il s’efforçait d’enrichir son étude. Quelquefois après une nouvelle découverte qui modifiait sa perception de l’auteur, il reprenait son plan et remettait en question la qualité de son ouvrage. Il était en recherche de perfection. Il n’achèverait jamais sa tâche. Peut-être y avait-il aussi chez lui une volonté inconsciente de ne pas finir pour se maintenir dans cette époque estudiantine, synonyme de jeunesse. Vieillir c’était envisager que le sida frappe un jour à la porte en claironnant qu’il avait assez patienté dans la latence de la séropositivité. J’extrapole évidemment mais avec la conviction de n’être pas très loin de la vérité...

Quatre années ce n’est pas assez pour l’application d’un plan quinquennal mais c’est déjà un petit bail. C’est le temps qu’a duré notre relation.  En années universitaires, ça m’a conduit jusqu'à la maîtrise. En années civiles, ça m’a mené au désespoir.

Je n’ai rien vu venir. Je n’ai perçu aucune évolution, pas la moindre modification du comportement. Il me semblait que nous étions heureux comme au premier jour. En tout cas, rien n’avait changé chez moi, depuis ce jour, où bravant ma timidité, je l’avais abordé...

 Toujours d’une délicatesse infinie, il me laissa soutenir mon mémoire, et le lendemain, en ce début d’été, il préféra disparaître plutôt que d’envisager les souffrances de la maladie.

Ce matin-là, il m’encouragea à aller faire des courses afin que je quitte l’appartement. A mon retour, je ne le vis pas mais j’aperçus, bien en évidence, une enveloppe qui m’était destinée. A la fois surpris et inquiet, je me précipitai, la décachetai avec fébrilité. Avec stupeur, je découvris une lettre d’adieu que je ne compris pas tout de suite. Il était question du sida, de la peur de se voir péricliter, de la volonté de ne pas m’infliger l’épreuve d’une déchéance et d’autres petits riens qui, aujourd’hui, restent comme les derniers liens qui me rattachent encore à lui.

 Il me fallut une relecture pour comprendre qu’il ne partait pas en se déplaçant mais en mourant. Il avait même laissé des indications pour que l’on retrouve son corps. Finalement, après avoir enfin intégré le message, je grimpai quatre à quatre les escaliers de l’immeuble que nous occupions pour arriver sous les toits, dans une espèce de grenier inoccupé que le propriétaire mettait à disposition des locataires pour faire sécher le linge. C’est là que je découvris la scène épouvantable que je n’arriverai jamais à effacer de ma mémoire de son corps balançant au bout d’une corde accrochée à la plus grosse poutre de la pièce. Tout ce que j’ai pu faire après, je l’ai oublié. Je me souviens vaguement que je suis allé sonner à la porte du voisin du dessous qui n’était d’ailleurs pas là. Je ne sais plus qui j’ai alerté et qui a prévenu la gendarmerie. C’est le trou noir.

Le néant, j’y suis tombé cette matinée-là, en sortirai-je un jour ?

Malgré la douleur, le chagrin, la tristesse, je dus faire face immédiatement. Les gendarmes m’interrogèrent, puis il a bien fallu prévenir ses parents qui ne savaient rien de la maladie de leur fils ni de sa sexualité. Il me fallut passer pour un colocataire lambda, copain mais pas plus qui devait se montrer affecté mais qui ne devait pas trop en faire. Mon travail de deuil commençait mal. Je fus tout en retenue comme on me l’avait appris.

Dans les jours qui suivirent, les membres de la famille récupérèrent le mobilier et les effets personnels de Frédéric. Bien que présents à ce moment-là, ils n’essayèrent pas une seconde d’en savoir plus, sur la fin de leur fils, du pourquoi, du comment. Je ne peux dire si c’était une réelle indifférence ou une forme de pudeur. En tout cas, cette attitude me déstabilisa.

Le propriétaire, malgré mon absence officielle sur le bail, accepta que je continue d’occuper le logement. J’y passai l’été qui suivit le décès de Frédéric. L’appartement quasi-vide, je dormais à même le sol sur un matelas de récup. Le moral au triple-zéro, je ne me levais guère de cette couche de fortune, ayant perdu le goût à la vie et toutes perspectives d’avenir. Une maîtrise de lettres modernes à peine en poche et aucun projet. Avant la mort de Frédéric, j’étais déjà dans une phase d’interrogation sur les suites à donner à mes études mais après ce coup du sort, je n’avais ni la force ni l’envie d’y réfléchir. Une seule chose était sûre depuis toujours : malgré le cursus idéal, je ne serais pas prof. Je ne voulais pas me faire chahuter par des élèves qui auraient trouvé leur enseignant trop maniéré ou être la victime de la cabale d’une vieille agrégée d’histoire à demi-révisionniste qui aurait facilement fait le raccourci pédé donc pédophile et qui m’aurait causé des torts...

 J’aurais aimé faire comme Frédéric, prolonger les études pour le plaisir d’apprendre, goûter à la culture sans trop me préoccuper de comment faire bouillir la marmite...

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24 avril 2008 4 24 /04 /avril /2008 13:34

Je ne sortais quasiment plus de l'appartement, Montpellier la ville que j'aimais le plus, cette cité pour moi synonyme de bonheur et d'émancipation me ramenait sans cesse au souvenir de Frédéric. L'été était chaud, je tenais les volets clos, ne laissant entrer qu'un mince filet de lumière. Cette période dura trois mois et un peu plus. La peine n'arrivait pas à s'atténuer et je ne pouvais toujours pas faire de projets. Il y avait une seule idée qui commençait à me trotter dans la tête : partir. Pour où, je n'en savais fichtre rien mais je comprenais bien que je ne pourrais plus demeurer dans ces lieux trop chargés émotionnellement. Je n'avais pas non plus d'idées sur ce que je pourrais faire...


 Je ne sais pas ce que je serais devenu sans le platane de la RN 86, peut-être aurai-je fini sous la même poutre que Frédéric. Rien n'est sûr mais je dois bien avouer que plusieurs fois, l'idée m'a effleuré l'esprit. Je ne peux pas dire ce qui m'a retenu...

Puis un jour il y a peu de temps mon téléphone sonna. Machinalement j'allai répondre, c'était la gendarmerie de Bagnols sur Cèze qui m'apprit, non sans délicatesse, que mon père venait de se tuer sur la route.


Voilà les circonstances qui m'ont conduit à revenir, ici à Saint-Saturnin le Pont. Un cycle vient de se boucler à Montpellier et (merci papa !), j'ai eu l'opportunité d'en partir pour revenir ici au pays natal.

Ce retour ne m'enchante pas plus que ça mais il me permet au moins de fuir. Puis ce n'est pas une marche arrière complète pour la bonne et simple raison que l'homme qui empêchait mon épanouissement, mon père, est mort.

 Saint-Saturnin n'a plus la même signification. Ce n'est plus le lieu d'interdiction, de castration, d'étouffement que j'ai connu autrefois, ça devient une sortie de secours à cette situation intenable dans la ville qui m'a vu devenir un homme.

Il avait tort le parternel, c'est utile d'écrire son journal. Sans cette réflexion, je ne me serais certainement pas rendu compte que depuis toujours Saint Saturnin est une ouverture, un passage obligé, et non comme je l'ai cru longtemps une prison, un enfermement. D'ailleurs quand on entre dans la ville par le côté nord, on peut lire sous le panneau d'entrée dans l'agglomération, un second panneau qui porte la mention « Portes d'or de Provence ».

Cet intitulé m'a toujours paru étrange. En effet, Saint-Saturnin, se trouvant sur la rive droite du Rhône, n'est donc pas en Provence. De plus, comme la ville jouxte la limite de quatre départements, on pourrait presque se revendiquer ardéchois, drômois ou vauclusiens mais il se trouve que l'on est gardois à quelques hectomètres près. Alors pourquoi pas être la « porte d'or de la Provence » ? Puis ça fait bien sur le dépliant de l'office du tourisme ! A Montélimar, ils ont le nougat, alors ils n'ont pas besoin d'en rajouter sur leur C.V. mais nous qui n'avons rien ou presque, il faut bien se faire mousser un peu, non ?  Ici personne ne sait vraiment à quel territoire réel la région appartient, à tel point qu'à la création de ce machin qu'est la Communauté de Communes, les élus ont cogité longtemps pour trouver un nom qui soit parlant. Je ne crois pas qu'ils y soient arrivés. De toute façon, nous n'avons pas besoin d'une notoriété supplémentaire, il y a assez de culs blancs qui viennent bronzer chez nous l'été.

Bien qu'étant d'origine alsacienne, les hasards des affectations de mon père font que j'ai toujours vécu ici. Je suis pas un vrai « couleur locale » mais les quelques rares vrais autochtones ont-ils conscience de leur identité culturelle ? La langue régionale, par exemple, qui est l'occitan est  pratiquement perdue. Les quelques résistants qui n'ont pas bouffé leurs racines s'entre-déchirent pour savoir si c'est du provençal ou du patois. Quand certains poussent l'audace jusqu'à la lire ou l'écrire, d'autres polémiques se font jour pour le choix de la graphie. Ah, vraiment je sais pas si le terme de « Portes d'or de Provence » a un écho pour quelqu'un d'autre que le touriste moyen qui doit comprendre le message comme un « bienvenu au pays du soleil » !

 Mais une fois le panneau passé, notre vacancier doit déchanter car Saint-Saturnin, comme toute les villes traversées par une nationale, a des maisons vieilles, noircies par le trafic et le plus souvent désertées par leurs habitants à cause des nuisances sonores. Avant la fin de l'agglomération, vous aurez droit à votre petite ZAC avec vos moyennes grandes surfaces, vos magasins de bricolage aux enseignes bien connues dans l'Europe entière. On en sort comme dans tous les patelins de France par un de ces ronds-points Houdard, inventeur génial de la priorité à gauche, qui, comme ses petits frères parsemés sur tout le territoire, rivalise d'imagination pour exhiber une décoration typique du secteur. C'est ainsi que l'on trouve un monticule de terre, censé représenter un champ avec un maset, une vigne et un olivier. Sachant que le vin ne se vend plus et que l'olivier, il faut le changer régulièrement car des gens malintentionnés l'arrachent pour le replanter dans le petit jardin de leur pavillon en lotissement, ah, elle est belle la porte d'or de la Provence ! On peut même dire qu'elle a les gongs qui grincent.

 Et pourtant..., c'est vrai qu'à la grande époque de la batellerie sur le Rhône, c'était une étape importante et que son pont remonte à loin. Dans le poème du Rhône de Frédéric Mistral, l'épisode tragique qui s'y déroule marque bien le début de quelque chose et la fin d'une autre. Qui connaît cette œuvre à Saint-Saturnin ? Qui a lu Mistral (en général) ? Certains s'en revendiquent, ou le citent régulièrement (c'est si facile de faire parler les morts), il a été statufié de son vivant, mais, mis à part la fausse image que l'on véhicule, Mistral est un inconnu célèbre. Avoir une notoriété factice, c'est quelquefois pire que d'être tombé dans l'oubli.


Rien ne me prédestinait, moi le petit alsacien, à m'intéresser à cette littérature et pourtant, sans arrière pensées, pas plus que d'a priori ni connaissances, je suis tombé un jour à la bibliothèque sur « le poème du Rhône ». Je devais avoir une quinzaine d'années un âge où on s'intéresse à tout sauf à ça. Malgré la barrière de la langue, gros obstacle et, second écueil de taille, la forme bien éloignée du roman moderne que j'avais l'habitude de lire, je venais de mettre un pied dans la littérature occitane. Je ne le savais pas encore, et c'est tant mieux car quand on commence à intellectualiser trop ses lectures, on en perd le plaisir instinctif.

Tranquillement, pendant mes années de lycée, je m'étais un peu plus familiarisé à la langue et aux autres écrivains occitans mais sans trop y prêter attention. A mon arrivée à Montpellier, j'avais poursuivi dans ce sens au côté de mes études de lettres, qui, elles, étaient un enseignement sérieux dans une littérature universelle en langue françoise. Les textes en langue d'oc étant considérés, bien entendu, par nombre d'enseignants et par leurs élèves comme des écrits patoisants sans aucun intérêt littéraire.

Cette vision réductrice des choses ne m'avait pourtant pas découragé et je peux dire que, plus le temps passait, plus je faisais le choix culturel d'une « occitanitude » assumée. Malgré mon nom patronymique, le berceau alsacien de ma famille, je me reconnaissais dans l'histoire, la langue, la culture, la littérature du territoire auquel j'appartenais. On a bien des Chrétiens qui se convertissent à l'Islam ou au Bouddhisme, des nomades qui deviennent sédentaires, des ruraux qui se transforment en citadins épanouis et vice-versa, alors pourquoi ne pourrions-nous choisir notre culture ? Dans le même temps, se reconnaître dans une civilisation millénaire, serait-ce plus ringard que d'aller fumer des joints à Katmandou comme c'était à la mode à une époque ?

Me voilà donneur de leçons mais moi-même je n'ai rien fait pour perpétuer l'alsacien, j'ai donc moi-aussi mon combat exotique en quelque sorte...


Peut-être qu'aujourd'hui je me représente les choses ainsi, ne serait-ce que pour me convaincre que j'ai fait le bon choix en prenant la décision d'un retour à Saint-Saturnin. De toute façon avais-je bien le choix ? Je ne veux plus rester à Montpellier, cette perspective me fait trop souffrir et de toute façon, je n'ai plus rien à y faire. J'ai mis un terme à mes études, j'y suis maintenant seul et même dans le cas contraire, je n'aurai plus les quelques subsides que me versait mon père qui me permettaient de compléter mes maigres revenus. A court terme, je devrai me séparer de l'appartement. Ici à Saint-Saturnin, je serai logé pour rien car je vais récupérer le pavillon paternel dont les dernières traites sont remboursées depuis belle lurette. Je suis sûr qu'avec les économies que mon père mettait de côté chaque mois, (même si l'aspect financier était un des tabous familiaux donc secret), je pourrai voir venir quelques temps.

Sans vraiment de perspective, je dirais même dans une phase de renoncement, je pourrai au moins pendant une certaine période, continuer à me complaire dans ce spleen qui est le seul compagnon de mes jours.

Par fidélité à Frédéric, je souhaite renoncer  à l'amour. Je ne veux plus recommencer les pratiques sexuelles que j'ai connues avant, et qui sont courantes  dans la communauté gay. A part un assouvissement  instinctif qui au mieux soulage nos corps, ce ne sont que des occasions de contamination.

Je ne veux pas finir comme lui ; si telle avait été ma volonté profonde, dans le trimestre qui vient de s'écouler, je serais passé à l'acte. Or, je ne l'ai pas fait.  J'ai vécu des choses trop belles pour revenir à de simples ébats sans sentiment. On doit bien, à un moment donné, être capable de transcender. Etre en mesure de dominer son corps. J'en suis capable, j'en ai la conviction profonde. J'ai toujours eu une sensibilité pour la littérature en général et la poésie en particulier, et Frédéric a aggravé ce penchant de ma personnalité, je dois donc pouvoir sublimer mes pulsions...

Me voilà donc, seul, dans la maison qui fut celle de mon père jusqu'il y a trois jours. J'en suis le seul héritier, il faut que j'en prenne possession. Tout, le mobilier, la décoration, l'atmosphère, sentent encore le gendarme Eggimann. J'ai ouvert mon ordinateur portable pour écrire sur la table du salon, je n'ai qu'à lever les yeux pour apercevoir le vaisselier transformé en meuble d'exposition pour sa collection de revolvers et de pistolets. Il n'y a qu'un bidasse pour avoir ce genre de hobby ! Réunir des engins de morts, quelle drôle d'idée ! Pour moi le seul objet qui tire en 35 mn et qui ait un barillet (et même parfois deux), ce n'est pas une arme à feu mais... un appareil photo. Si j'étais fétichiste comme feu mon père, je regrouperais des Leica mais je préfère prendre des clichés plutôt qu'amasser des boîtes.

 Il me faudra du temps pour que ça devienne mon territoire à part entière. Des cloisons vont sûrement tomber ; quant aux armes à feu, je saurai vite combien elles valent...

La journée a été éprouvante, le protocole, la messe, le cimetière, les poignées de mains, les condoléances et ... moi, sec, sans une larme, sans le moindre chagrin pour celui qui m'a donné la vie alors que j'ai été si affecté par le décès de Frédéric.

J'aurai du mal à trouver le sommeil, c'est comme ça depuis le départ de Frédéric. J'ai toujours entendu dire que la nuit est angoissante, je comprends maintenant ce que veut dire cette expression. Je vais, comme tous les soirs depuis plus de trois mois, passer de longues heures à surfer sur la toile. J'ai écrit que je refuse tout contact physique mais j'ai besoin de rencontres virtuelles. Je ne visite pas les sites hards mais les tchats, les sites de discussion, d'échanges de vécu ou d'expérience, ça remplace aisément le psy dont j'aurais certainement besoin ces temps-ci.

J'en fréquente plusieurs mais j'ai mon préféré avec notamment un internaute qui a beaucoup d'humour. Le pseudo derrière lequel il se cache, est la Tante Marie-Sybille. Ses récits sont à hurler de rire, enfin la plupart du temps ! Comme je n'ai pas toujours l'occasion de me gondoler, c'est le moins que l'on puisse dire, je lis avec délectation et régularité les aventures de la Tante Marie-Sybille et sans doute je revis des épisodes de mon existence.


Le dernier épisode s'intitule : Mes années collège

 

         Chers amis homos ou amis des homos, vous vous posez tous la question quand les pédés se rendent-ils compte qu'ils le sont ? et vous comptez tous sur votre tante Marie-Sybille pour vous apporter la réponse.

Il faut pour cela que je vous raconte mes années passées, il y a maintenant quelques temps déjà, au collège. Ceux qui me connaissent, auront du mal à le croire, j'ai été un petit garçon fluet et mignon à mon entrée en sixième. A cet âge là, il y a encore beaucoup d'innocence et les amitiés avec les filles ne posent pas encore trop de problèmes. Les gars les plus virils tapent avec entrain dans des ballons qui ne s'en plaignent pas et les plus calmes, les plus posés, les intellos, et les futurs homos jouent à autre chose mais ils ne sont pas encore la risée de leurs camarades. Qu'ils en profitent, ça ne durera pas.

Un an plus tard, je ne sais par quel miracle, j'étais passé dans la classe supérieure à savoir la cinquième. C'est bizarre, au collège, c'est le contraire du levier de vitesse d'une voiture, plus on avance dans le temps, plus le chiffre est petit. Je ne sais si j'avais pris conscience de mon homosexualité, mais en tout cas je crois que mes professeurs, sans le dire bien sûr, avaient dû s'en rendre compte. Il y avait deux détails qui ne devaient pas passer inaperçus. Le premier était relatif à mon apparence : j'avais adopté un nouveau look et notamment j'avais pris l'habitude de m'épiler les sourcils. Avec une vingtaine d'années de recul, je pense que cette dernière pratique, pas forcément bien maîtrisée ne laissait personne indifférent. La seconde habitude préfigurait mon goût pour l'art et la décoration. Avant de rendre mes devoirs et copies faits à la maison, je prenais soin de les parfumer comme on le fait parfois pour les lettres et ces mêmes feuilles étaient soigneusement remplies avec des stylos et feutres de toutes les couleurs. Si le fond n'était pas forcément profond, la forme, elle, était unique dans le groupe voire le collège dans son entier. Quoiqu'il en soit, ça m'a permis de franchir le nouvel obstacle et d'aller user mes fonds de culottes dans la classe supérieure.

L'année de quatrième est mémorable car c'est l'époque de ma mue. Auparavant nous avions tous de belles voix d'enfants, nous aurions tous pu doubler les petits enfants à la croix de bois mais voilà, patratac, les hormones s'en sont mêlées et ce fut la fin de l'époque prépubère. Hé les obsédés : j'ai dit prépubère, je n'ai pas parlé de prépuce ! ! ! Comme nous étions laids, avec nos voix de chèvres et nos boutons d'acnés. Pourtant, je crois bien que c'est à cette époque, que ça a démarré réellement pour moi, mais je n'en dis pas plus. C'est mon jardin secret.

Je devais quand même commencer à me faire un peu trop remarquer car l'année suivante, heureusement la dernière au collège, j'ai fini par avoir des ennuis. La troisième, c'est vraiment la classe où les petits machos se sentent obligés d'étaler leur masculinité de façon outrancière pour prouver qu'ils sont des vrais mecs avec des c........ Moi, qui n'ai de masculin que le prénom, je ne tardais pas à être la cible des quolibets et autres moqueries de quelques petits caïds. J'essayais de me faire tout petit mais je n'y arrivais pas forcément. L'incident arriva pendant une séance de sport. Nous étions, tous les garçons à nous changer dans le vestiaire. Le professeur se trouvait à l'extérieur. Je venais de quitter mon pantalon pour enfiler un short et c'est à ce moment là que les remarques commencèrent à fuser sur ma personnalité, mon attitude, mes manières. Chacun voulant en mettre une couche de plus que son voisin, on finit par sortir d'un placard un manche à balai qu'un trio composé de trois apprentis nazillons menaçait de me... Vous avez compris la suite. Je ne sais s'ils seraient allés jusqu'au bout de leur intention, en tous cas je n'ai dû mon salut qu'à l'intervention d'un camarade de classe, dont l'hétérosexualité ne faisait aucun doute aux yeux des autres, et qui, du haut de son mètre quatre-vingt, promit son poing dans la gueule au premier qui ferait un pas de plus. Les autres protestèrent que l'on ne pouvait plus rigoler, qu'ils ne l'auraient pas fait... Personne n'est capable de dire, si au lieu de les freiner, on les avait encouragés comment ce petit jeu se serait terminé...

Vraiment il était temps que s'arrêtent mes années collèges !

Dans un prochain épisode mes années lycée ou de nouvelles aventures de tante Marie-Sybille inédites à découvrir sans modération...

 

                                               Signé : Marie Six Billes



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23 avril 2008 3 23 /04 /avril /2008 13:40

Chap. 2 : « Le grand jeu » 


Un silence de plusieurs semaines et me voilà attelé de nouveau à l'écriture de ce journal. Juste le temps d'aller toucher le fond de la piscine puis de remonter progressivement en respectant les paliers de décompression. Je n'ai pas terminé le travail de deuil pour la perte de Frédéric, tout comme je n'ai pas fini de ressasser tous ces ressentiments sur mon père que je n'ai ni pu ni voulu lui exprimer de son vivant.

Cependant, des étapes ont été franchies et maintenant je suis à peu près en mesure d'affronter la vie. Et quitte à le faire, autant ne pas se figer dans les souffrances passées et sortir « le grand jeu » pour reprendre le titre d'un recueil de Benjamin Péret qui sera l'une des choses importantes que m'aura apporté Frédéric. En effet, j'ai pris la décision de vivre comme je l'entends, faire ce dont j'ai le plus envie et puis surtout m'investir dans quelque chose afin de fuir mes démons, mon passé, ma solitude.

Bien sûr rien ne me fera oublier les souvenirs heureux vécus auprès de Frédéric mais justement en me donnant à fond à une activité, cela permettra que ne demeurent que les bons moments et que soient occultés les autres.

Il m'a fallu cette période pour aujourd'hui envisager la vie sous cet angle et choisir une voie. Rien n'a été facile car au-delà de mon chagrin et de mon tourment, j'ai dû m'occuper de la succession de mon père. C'est fou le nombre de démarches administratives et de papiers à remplir. Au fur et à mesure j'ai pris conscience d'une chose que je savais déjà mais qui devenait plus évidente maintenant : une personne illettrée ou analphabète est incapable de sortir seule de ce dédale kafkaïen. Finalement la perspective s'est imposée à moi. Ne sachant rien faire de particulier : une licence de lettres modernes, on ne peut pas vraiment dire que ça soit la formation idéale à un métier, la seule compétence que je pourrais me vanter d'avoir ce serait peut-être de savoir écrire. Ecrivain public, c'était une évidence. Les quelques économies que me laissait mon père, en plus de son petit pavillon me permettraient de me doter d'un matériel informatique et de louer un local commercial. Pour la clientèle, elle ne devrait pas manquer avec tous les gens qui ont des difficultés à Saint-Saturnin. Plus j'y pensais, et plus je trouvais l'idée bonne. L'occasion me serait donner de rencontrer des gens, de faire du social, d'être néanmoins indépendant, je n'y voyais que des avantages. Il me restait à concrétiser ce désir. Le lotissement où mon père avait sa maison étant trop excentré, il me fallait un local dans le cœur du village. Je pensais trouver sans trop de mal car entre la mort du petit commerce et la fuite des magasins vers les zones commerciales, il devait sans doute y avoir plus d'une possibilité. Mes besoins étaient modestes, une pièce d'une quinzaine ou d'une vingtaine de mètres carrés auraient pu convenir.

Je n'ai pas cherché longtemps. Une promenade dans les quartiers historiques a suffi. Une annonce sur une baie vitrée a attiré mon regard. Sur le coup je ne me suis pas souvenu quelle était la fonction de ce bâtiment. En m'approchant ça m'est revenu. C'était l'ancien siège du Parti Communiste enfin de ces représentants locaux, je n'allais pas faire l'acquisition de la Place du Colonel Fabien. Je ne sais si ce sont ses finances qui étaient en berne, ou si l'activité était plus réduite mais toujours est-il qu'ils ne reconduisaient pas leur bail. A la réflexion, j'avais toujours vu cette permanence politique qui sur sa façade avait un panneau de bois où l'on pouvait lire en lettres rouges : « Parti Communiste Français ». La pancarte avait à ses deux extrémités une faucille et un marteau entrelacés. Dans la vitrine, on pouvait toujours voir des affiches changées au rythme des élections ou de l'actualité sociale et politique. Mon père, en bon militaire et alsacien avait horreur des communistes, mais moi, même si ma conscience politique n'était pas des plus affûtée, ils ne me dérangeaient pas. Mieux, j'aurais pu, si j'avais exercé mon devoir civique régulièrement, voter pour eux. Quand on est pédé, on a pas forcément envie d'être du côté des plus forts...

De toute façon, le local n'appartenait pas au P.C. mais à une famille, qui devait y adhérer, mais qui accepterait sans doute de louer à n'importe qui. La demande n'est pas si forte en ce moment. J'en eus vite confirmation. Le loyer était bon marché et l'emplacement, au cœur de la vieille ville, c'est à dire au contact de nombreuses familles défavorisées et/ou immigrées, les conditions me semblaient idéales. L'affaire a été rondement menée. Il suffirait d'un coup de blanc sur les murs, à la place de la pancarte avec le marteau et la faucille, je voyais déjà l'écriteau : « Ecrivain public : lettres-type : tous types de lettres ».


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C'était, il y a une semaine, finalement j'ai opté, pour une formule plus sobre : « écrivain public : lettres, mémoires, travaux de secrétariat, photocopies »  L'accroche est moins poétique mais semble plus explicite. Les cocos m'ont laissé une photocopieuse encore en état de marche avec l'ordinateur dont je viens de faire l'acquisition, je suis prêt à faire du bon boulot. Il ne me reste qu'à attendre le client. J'y crois : il doit bien y avoir des gens qui ne s'en sortent pas avec la paperasse administrative pour leur déclaration d'impôt, leur dossier de retraite, ou pour un contentieux inhabituel avec une administration ou un commerce. Des chômeurs ont sans doute, besoin de curriculum vitae, de lettres de motivation ou de demandes écrites à faire aux Assedic ou à l'ANPE. Peut-être aurai-je la chance de rédiger une lettre enflammée pour un amoureux transi incapable d'aligner trois mots ou le récit d'une vie, une sorte de roman à usage familial comme c'est devenu la mode de nos jours ?

 Enfin ça sera la surprise demain matin à l'ouverture. Pour l'instant, j'ai passé ma dernière journée, après les travaux de remise en état à distribuer dans les boîtes aux lettres de la ville, une petite publicité afin de me faire connaître. Je n'ai plus qu'à croiser les doigts. De toute façon, si ça ne marche pas, dans six mois, j'arrête et je réfléchis à autre chose, j'ai de quoi voir venir d'ici là.


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La matinée a été plus que calme... je n'ai vu personne. Je l'ai mise à profit pour faire quelques petits papillons pour coller sur la vitrine afin de bien annoncer les prestations que je peux offrir. Je suis allé manger à la maison et à mon retour j'ai vu de loin un vieil homme qui semblait attendre devant la boutique. J'ai pressé le pas pour ne pas le faire patienter plus. A vue de nez, c'était un octo voire nonagénaire et effectivement il venait bien me voir. Je l'ai fait entrer et prendre place sur une chaise face à mon bureau. En passant de l'autre côté, j'ai pu l'observer mieux : c'est un homme de condition modeste aux habits propres mais ordinaires et anciens. Le seul luxe qu'il affiche : un cigare. Pas un havane mais une sorte de cigarillo, c'est dire si le terme « cigare »  n'est pas forcément le bon. Un de ces Ninas qui pue et dont l'odeur imprègne la pièce à une vitesse record. En cherchant désespérément du regard un cendrier que je n'ai pas prévu dans mon mobilier, me revient un vers de Benjamin Péret tiré du poème « le sang répandu » que citait régulièrement Frédéric quand nous fréquentions un lieu où le tabagisme n'était pas prohibé : « La cendre qu'est la maladie du cigare imite les concierges descendant l'escalier ».

Un verre Pyrex fera l'affaire. Je suis prêt à l'écouter.

Il commence à m'expliquer dans un français assez approximatif qu'il a eu ma carte dans un bistrot de la ville. Je m'inquiète un peu : est-ce qu'il a tapé à la bonne porte ? Connaît-il réellement le rôle d'un écrivain public ? Je commence à en douter. Déjà j'imagine des stratégies pour pouvoir lui indiquer d'autres lieux où l'on pourra entendre ses problèmes.

De son côté, il n'a aucune hésitation sur mes activités. Il me fait part de sa joie de pouvoir régler son problème avant de mourir. Sans me connaître, il me fait entièrement confiance : au moins une bonne raison d'avoir ouvert ma boutique ce matin !

Il commence à me raconter son histoire. Il n'est pas toujours cohérent, il s'adonne à des digressions assez alambiquées qui s'ajoutent à sa diction de vieillard et à son accent qui parasite la clarté du message.

Au bout d'un moment j'en ai retenu ce que je pense être l'essentiel.

Mon premier client s'appelle Ramon Gonzalez, il est né en 1920 en Espagne plus précisément dans les Asturies, (il y tient) : c'est un maçon à la retraite. Le reste de notre conversation ne me permet pas de lui soutirer des infos qui me semblent exploitables. Plus je discute avec lui et moins je n'arrive à me faire une opinion : est-il gâteux ? ne se fait-il pas suffisamment comprendre en français ? ou tout simplement a t-il tapé à la mauvaise porte comme je le crains depuis le début ?

Finalement dans un magma de paroles au sens flou, je finis par entendre qu'il est à la recherche de sa fille. Je me dis enfin qu'il est venu pour que je l'assiste pour rédiger un courrier afin de prendre contact avec sa descendante, ou tout simplement pour l'aider à l'appeler au téléphone mais à ce moment là je le perds à nouveau. Il a glissé tranquillement depuis le début de notre échange du terme «écrivain public», à  «écrivain privé» pour atteindre un inattendu «détective privé».

Je laisse tomber notre discussion pour lui expliquer que je ne suis en aucun cas un détective privé. Il ne me comprend pas. Il part dans un monologue sur la défense du service public et fait référence au local que j'occupe. Je me doute qu'il fait une allusion aux anciens locataires du lieu, les communistes qui selon ses mots, ont toujours défendu le service public. Le fait-il exprès ou bien est-ce une réelle confusion ? Toujours est-il que je n'arrive pas lui faire entendre que mon travail est très limité. Il me coupe sans arrêt la parole sans vouloir m'écouter. On dirait qu'il prend mes mots pour de la modestie qu'il écarte par une formule qui revient sans cesse dans sa bouche :


«J'ai confiancé en toi, jo sais que tou y arribaras».


Je n'arrive pas à lui faire comprendre ce que je suis. Déjà il se lève. Il fait passer sa canne qu'il tenait dans sa main droite vers la gauche puis fouille sa poche pour en sortir un portefeuille. Il l'entrouvre dans un geste tremblant et en sort un billet de 500 euros. Il le pose sur mon bureau malgré mes protestations. Je me hâte de passer de son côté pour lui rendre son billet mais il a déjà tourné le dos et s'avance vers la porte. Avec sa canne, il a anticipé mon mouvement et me rejette d'une poussée qui n'est pas agressive mais qui me tient en respect.


«Tou prends cet argent, jé reviendrais té voir bientôt. »


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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 07:05

Je ne peux m'expliquer ce qui m'a empêché de lui rendre son bifton. Pas la malhonnêteté, ça c'est sûr, peut-être le sentiment que je ne pouvais décevoir ce vieux.  De toute façon, il ne fait aucun doute dans mon esprit que d'une façon ou d'une autre, je vais lui rendre son pognon. Il est hors de question que je prenne les billets des vieux qui perdent les pédales et pourquoi pas arracher les sacs à main des mémés tant qu'on y ait ? ! ?

Je le regarde marcher dans la rue. Il est vraiment très vieux et semble trop modeste dans ses manières, ses vêtements et ses paroles pour donner en étrennes des billets de 500 euros à n'importe qui et à n'importe quelle occasion. Je n'en reviens pas. Il s'éloigne et tourne au coin de la rue. Je ne suis pas très sportif mais je pourrais le rejoindre en courant et lui rendre son fric. Je ne sais pas pourquoi je me l'interdis. Je rentre dans la boutique et me jette sur l'annuaire. Il n'y a pas de Gonzalez Ramon à Saint-Saturnin. A la réflexion, je n'ai jamais bien fréquenté le village avant de partir à Montpellier mais son visage ne me dit rien ; ça n'a pas valeur de preuve, je ne connais pas tout le monde ici et ne suis pas des plus physionomistes.

Le calme revenu dans mon bureau je me surprends à fredonner la chanson de Léo Ferré « les anarchistes » : Y'en a pas un sur cent et pourtant ils existent / la plupart espagnols allez savoir pourquoi / Faut croire qu'en Espagne on ne les comprend pas / Les anarchistes...


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Pour une première journée, il s'en sera passé des choses ! Finalement je n'ai pas beaucoup de perspectives, de travail, de plus je suis d'un naturel assez curieux alors pourquoi ne pas en savoir plus sur ce drôle de type qu'est Ramon Gonzalez. Je voulais me lancer dans le métier d'écrivain public pour rencontrer du monde, m'ouvrir aux autres, je crois que c'est réussi. Puisque c'est lui qui veut que je sois détective privé, eh bien menons l'enquête et à moi les aventures !

         Le soir venu, de retour à la maison, je repense à cette curieuse rencontre. Une énigme pour le moment mais qu'il faudra élucider. Soit le vieux est sénile et j'abuse de sa démence à prenant son argent et mon honnêteté m'oblige à le lui rendre. Soit, seconde hypothèse, malgré son âge, il reste encore lucide et, dans ce cas-là, je me dois de l'aider car c'est vers moi qu'il s'est tourné, même si sa démarche volontaire a été, un peu guidée par le hasard. C'est promis, demain matin, je dois me mettre au travail pour avoir des réponses à mes interrogations.


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         Je me suis réveillé avec les mêmes dispositions qu'au coucher. Sitôt au pied du lit, juste le temps de me faire une beauté et me voilà parti à la recherche du vieil espagnol. Je décide d'aller prendre  mon petit déj au café de la Bourse. Je me suis mis dans l'idée que pour retrouver sa trace, un bistrot serait le meilleur endroit. Je n'ai jamais été un pilier de bar mais la Bourse se veut un établissement un peu chicos. Pas un repère pour habitués alcooliques qui n'ont que ce lieu pour lutter contre leur solitude.

En y entrant, c'est la remarque que je me fais. Si la piste du café est correcte, je ne tape pas forcément à la bonne porte car Ramon Gonzalez n'a pas vraiment le profil de la Bourse. En fait, c'est moi qui appréhende d'aller dans un boui-boui de peur de me faire chahuter. Je me rassure en me disant que les garçons de café connaissent beaucoup de gens. A l'heure à laquelle j'arrive, la Bourse est vide. Les gens qui se jettent un noir avant le boulot sont déjà partis et les autres clients viennent plus tard dans la matinée ce qui me laissera plus de loisirs pour cuisiner le garçon.

Je ne sais pas m'y prendre, c'est la première fois. Je ne sais pas ce que le garçon va penser et l'idée me gêne. Finalement, pendant que je bois mon café en mangeant un croissant avec trop de beurre à mon goût j'observe l'employé qui derrière son comptoir vide le lave-vaisselle.

 J'attends le moment propice où il me semblera disponible pour converser un instant. Je me rends compte que le travail de détective ne s'improvise pas et même si on l'a vu faire à la télé, ça reste de la fiction.

Au bout d'un moment, je me sens obligé de reprendre un second jus pour faire durer ma présence. Il finit par prendre le temps d'ouvrir l'Equipe et de la lire sur le comptoir. Si j'avais conservé mes références sportives, je pourrais lui parler du match de la veille ou de celui du lendemain mais l'abandon du sport fait parti pour moi de mes actes d'émancipation. Ca m'aurait pourtant été bien utile dans la circonstance. Heureusement, c'est lui qui m'interpelle sur les malheurs du Real Madrid. L'occasion est trop belle ! On s'échange des banalités, je suis bien incapable d'entrer dans le détail puis au bout d'un moment je lui glisse le nom de Ramon Gonzalez en faisant croire que je le connaissais comme un fidèle supporter. Le garçon, malgré une description précise, ne voit pas de qui il s'agit.

Il finira par m'avouer que le bar des sportifs c'est plutôt, comme son nom l'indique, le bar des sports.

Me voilà embarqué pour un second café. Heureusement que je ne suis pas au cognac ! Les deux bistrots ne sont pas très éloignés l'un de l'autre mais les univers sont très différents. Autant le premier peut se faire passer pour une brasserie, autant le second est plutôt un bistrot à pastis. Plus de garçon de café mais un patron sans uniforme qui boit et fume autant que ses clients. Son bistrot, c'est son élément, il y est comme un poisson dans l'eau. Du coup l'ambiance est moins feutrée.

Toujours aussi peu de monde en ce début de matinée, on est encore loin de l'heure de l'apéro. La télé marche assez fort et le patron, sans me connaître le moins du monde, me commente les informations. On peut parler, à juste raison, de propos de café du commerce. Les affaires politiques, les faits divers, la météo, tout est prétexte à dire des « conneries » dont le patron semble coutumier et qui doivent faire le bonheur de sa clientèle. On dirait qu'il se prête à un véritable « one-man-show ». J'aurais du mal à lui donner la réplique mais il s'auto-alimente sans que j'ai à faire les transitions.

Péniblement, j'arriverai à l'amener à Ramon Gonzalez..., après avoir réfléchi il finit par me dire qu'il pense savoir qui c'est mais qu'il est plutôt un habitué du P.M.U. J'en suis à mon quatrième café, je dois avoir une haleine de chacal.

Me voilà parti pour le P.M.U., et comme le temps a passé, je vais finir par arriver pour l'heure de l'apéro. Les deux établissements sont rapprochés : Saint-Saturnin est trop gros pour être un village mais encore trop petit pour se prendre pour une ville. Il n'y a que le maire pour croire ou laisser croire à une importance dans le secteur.

 A mon entrée dans le bar, je ressens déjà un autre climat que dans les deux précédents débits de boisson. La télé géante crache sa course de canassons dans une espèce d'indifférence relative. Les hommes au comptoir ont les yeux sur leur bière et les oreilles à la conversation avec leur voisin avec, cependant, à intervalles réguliers, un léger mouvement d'épaules vers l'écran. Personne ne semble faire attention à mon arrivée. Pour faire couleur locale et m'enlever le goût du moka, je commande un panaché. J'ai l'impression par cette boisson de me fondre dans l'ambiance. Les chevaux passent la ligne d'arrivée, un gars au bout du comptoir en « chambre » un autre qui ne s'en afflige pas.

 Je voudrais bien faire semblant de m'intéresser à la course mais mes connaissances en la matière sont nulles. Il me serait même impossible de dire comment on joue au tiercé ! Sans accroche pour entamer une conversation, je suis là en observateur sans trouver la faille.

Le déclic se produit au bout d'une quinzaine de minutes, quand je reconnais une des personnes présentes dans le bistrot. C'est un ancien gendarme qui travaillait avec mon père et qui est retraité, depuis au moins dix ans. Il ne m'a pas reconnu mais moi, depuis mon entrée au P.M.U., il me semblait que son visage ne m'était pas étranger. Je m'avance vers lui.


« - Vous ne me remettez pas ?  

  - Non pas du tout, t'es qui ?  

-  Je suis le fils du gendarme Eggimann. 

- Oh là là, je ne t'aurais pas reconnu ! Je suis désolé pour toi. Je suis venu aux obsèques de ton père mais à l'instant je ne pensais pas à toi ».


         Une conversation s'engage. Le retraité est content de discuter. On me ressert un panaché. Après les banalités d'usage, je finis par en venir à Gonzalez. Sans entrer dans les détails, ni sur mes activités, ni sur le motif de ma recherche, je lui glisse que j'étais entré dans le bar pour le retrouver. De peur d'éveiller les soupçons, j'invente une histoire de portefeuille perdu. En même temps que je la raconte, je me rends compte qu'elle ne tient pas debout et qu'en bon fils de flic, si j'en avais réellement trouvé un, je l'aurais porté sans tarder à la gendarmerie. A mon grand étonnement pourtant, le subterfuge fonctionne. L'ancien militaire me dit que j'ai bien fait de venir ici car il est là tous les jours mais il se reprend aussitôt en se faisant remarquer à lui-même que finalement, à la réflexion, cela fait plusieurs jours qu'on ne l'a pas vu. Il s'interrompt pour apostropher un homme au comptoir :


«  Le vieux Gonzalez, tu l'as pas vu aujourd'hui ? »


L'autre lui répond que Gonzalez n'est pas très en forme ces derniers temps,  qu'il vient moins au café  mais qu'il fait tellement parti des meubles que l'on ne s'en est pas encore rendu compte.

Le visage de mon interlocuteur s'illumine comme si l'homme auquel il s'était adressé lui avait tenu des propos philosophiques d'une clarté révélatrice. Il me confirme les dires de l'homme accoudé au zinc. Il finit, sans que je lui demande, par m'expliquer qui est Ramon Gonzalez.


« Depuis que je suis à Saint-Saturnin et surtout depuis que je suis veuf, je viens régulièrement ici. Il faut bien passer le temps. Le vieux Gonzalez, je l'ai toujours vu ici. Lui non plus n'a pas de famille. Quand il travaillait, je te parle d'il y a au moins vingt ou trente ans, il passait après sa journée ou le week-end seulement mais depuis qu'il est en retraite, il passe pas mal de temps dans ce bistrot. Il joue beaucoup. Pas des grosses sommes mais ce n'est pas non plus le genre de type qui joue un tiercé de temps à autre notamment quand il y a le prix d'Amérique. Non, lui c'est un joueur régulier comme pas mal de types ici. Il doit y passer une bonne partie de sa pension. Moi, je joue un peu pour m'amuser mais ça n'a rien à voir avec lui. En fait, hormis le fait qu'il soit communiste, c'est un brave gars. Moi, les cocos, tu sais, comme ton père, je les aime pas trop, mais lui c'est pas pareil, il n'est pas méchant. »

Notre conversation n'est guère allée plus loin. L'ancien gendarme m'a donné l'adresse approximative de Gonzalez pour que je puisse lui rendre son portefeuille. J'ai fait semblant d'avoir apprécié sa compagnie et pris la direction de la sortie du P.M.U. en me disant que je ne la ferai pas tous les jours, la tournée des bistrots ! Mais dans le cas présent, il n'y avait guère d'autres possibilité pour mener mon enquête. Je suis retourné ensuite à mon local.


Avant d'aller le trouver chez lui, je réfléchis à qui pourrait me donner d'autres informations plus précises. Si comme le dit le vieux gendarme c'est un coco, j'ai l'homme qu'il me faut. Le communiste le plus en vue, ici à Saint-Saturnin, c'est un certain Jean-Marc Vader. Une figure locale, élu au conseil municipal depuis des lustres, opposant historique au maire en place, syndicaliste C.G.T. (comme il se doit), un des rédacteurs d'un petit journal politique qui tire sur tout ce qui bouge à boulets... rouges !

On le voit à peu près tous les samedis matin sur le marché hebdomadaire qui distribue des tracts ou fait la causette en langue d'oc. C'est par cet aspect que je le connais un peu car, amoureux de l'occitan, j'ai toujours eu une oreille attentive à essayer de percevoir des paroles dans cette langue.

 Sans tomber dans la folklorisation de type Alphonse Daudet, je dois bien convenir que les discours marxistes de Jean-Marc Vader assaisonnés à la sauce provençale lui donnent une truculence que déjà son aspect physique avec, notamment, sa barbe grisonnante, pouvait lui offrir.


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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 20:33

Je n'ai pas patienté jusqu'au prochain marché du week-end : j'ai trouvé prétexte d'un petit carton livré par erreur pour le P.C. à mon local. Ah ! la force de l'habitude !

 Mon colis sous le bras, j'ai pris la direction de la maison de Vader. Il m'a très bien reçu en m'invitant à prendre un apéritif. Je n'ai pas refusé l'invitation qui me permettrait de faire bifurquer la conversation sur Gonzalez.

Effectivement, après plusieurs minutes de salamalecs d'usage, j'ai embrayé par un prétexte futile sur le vieux Ramon. Le chef de file des cocos locaux m'a corroboré les dires du vieux flic. Première confirmation : Gonzalez n'a pas forcément toute sa tête. Il peut être lucide par moment et déconnecter à d'autres. Sur le plan politique, Vader confirme qu'ils partagent tous les deux les mêmes opinions politiques, à la différence près que Gonzalez a combattu par les armes pour défendre la liberté. On sent une admiration au fur et à mesure du récit sur les faits de guerre connus de l'espagnol. En fait, Vader ne connaît pas les détails mais il sait que Gonzalez a été dans l'armée républicaine et qu'après la défaite il a été emprisonné. Il est incapable d'en dire plus par exemple sur les lieux où il a livré bataille, mais la seule évocation de la guerre d'Espagne semble le bouleverser et l'on peut lire sur son visage des expressions contradictoires d'envie, de joie, de douleur, de peine...

Sur la vie privée de Ramon Gonzalez, le responsable de la cellule de Saint-Saturnin semble ne rien connaître et même s'en désintéresser complètement.

De toute façon pour l'instant, j'en sais assez. Je crois que la personne qui m'éclairera complètement ne pourra être que Ramon Gonzalez lui-même. Il me faudra passer outre les problèmes linguistiques, son âge, ses difficultés, pour percer le mystère. Les différentes conversations que j'ai eues dans les dernières heures m'ont permis d'aiguiser ma curiosité et de renforcer ma motivation sur le fait que je dois aider les autres pour surmonter mes propres problèmes.

Qu'importe si un client m'a transformé, moi écrivain public, en une espèce de détective privé ! Ma conviction est faite, je dois assister Ramon Gonzalez et percer l'énigme de sa fille.


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Sans que j'aille à sa rencontre, c'est lui qui est venu à moi. Ce matin à l'heure de l'ouverture, il patientait le dos appuyé contre le mur de mon local et les deux mains sur sa canne. Une nouvelle fois, je me suis précipité pour le faire entrer.

La première entrevue a, semble-t-il, débloqué la parole chez le vieil espagnol. Un palier a été franchi, il m'ouvre le livre de sa vie comme si j'étais un familier, un proche, un homme de confiance. Ses idées sont plus claires, sa pensée plus lumineuse qu'à notre première rencontre. Je comprends, maintenant qui il est et n'ai plus besoin de poser des questions, ni de l'interrompre pour en savoir plus. Je n'ai qu'à écouter.

Nous franchissons d'emblée les Pyrénées pour atterrir dans sa province natale : les Asturies. Sur sa prime enfance, il est assez peu loquace.

Pauvre mais dans une atmosphère aimante, il vivait heureux dans un foyer de mineurs. Il est le troisième et dernier garçon de la famille. Son père et ses aînés veilleront sur lui.

Il a à peine seize ans quand la guerre civile éclate. Son père et ses deux frères partent sur le front, il reçoit l'ordre de rester auprès de sa mère. Une semaine après leur départ, il désobéit et les rejoint sur le front au Pays basque dans la province voisine. Est-ce un hasard, il est incorporé dans le même bataillon que son père et ses frères à savoir le Ladreda (unité militaire qui ne sera jamais dissoute et durera par les actions de guérilla jusqu'en 1950).

 Mal préparé et surpris par la violence des combats, l'aîné des enfants est tué dans les premières heures des affrontements entre Républicains et Nationalistes. Ramon l'apprend à son arrivée. Le pays basque ne résistera pas très longtemps :  à la fin du printemps 1937, les phalangistes tiennent Bilbao en juin et auparavant les fils Gonzalez ont perdu leur père.

Les deux plus jeunes frères continueront à se battre dans leur région d'origine voisine du Pays basque, les Asturies qui, elles-aussi, finiront par tomber aux mains des hommes de Franco.

Ramon va être fait prisonnier mais avant d'aller croupir dans les geôles de Palencia, il aura encore la douleur de perdre son dernier frère.

Seul survivant masculin de sa famille, après son arrestation il croupira plusieurs années dans la prison du Léon dans cette ville qui avait vu naître en 1208 la première université d'Espagne à l'initiative d'Alphonse VIII.

A l'âge où certains sont étudiants, lui qui était destiné à la mine passera ce que d'aucuns qualifient comme les meilleures années de l'existence, enfermé et confronté aux puces, poux, morpions, et à la tuberculose.

Il n'en sortira que sept ans plus tard. Entre-temps, sa mère, dernier vestige de sa famille, avait succombé aux restrictions, aux épidémies ou au chagrin. Les portes de sa cellule s'ouvriront mais on ne peut pas vraiment parler de libération car il sera intégré dans un bataillon franquiste pour y faire son service militaire. La dictature militaire voulait redresser cette jeunesse ennemie pour lui inculquer les idées et préceptes fascistes.

Pour Ramon comme pour beaucoup de ses congénères, l'opération relevait de l'exercice de renégation et avec nombre d'entre eux, il préférera fuir et passer clandestinement les Pyrénées à pied.

L'arrivée et l'accueil en France qui sortait, depuis à peine quelques jours de la seconde guerre mondiale, furent difficiles. Il parvint néanmoins jusqu'à Paris où il vivota pendant quelques mois.

Finalement, avec d'autres camarades, ils optèrent pour un départ en Argentine, pays dont ils maîtrisaient la langue et où certains avaient déjà un brin de famille ou de connaissance. Au Havre ce fut l'embarcation clandestine sur un bateau en partance. Au bout de quelques heures, ils furent découverts par l'équipage, des danois qui les traitèrent correctement, ce qui n'est pas toujours le cas pour les passagers qui n'ont pas acquitté leur titre de transport. Cependant leur plus grande surprise restait à venir. On leur expliqua que le bateau ne se dirigeait pas vers l'Argentine, car la destination finale se trouvait de l'autre côté de la Méditerranée dans un département français : l'Algérie. Ils purent se consoler pendant la traversée en dégustant des rollmops avec des patates, nourriture de l'ensemble des bordées.

Les hasards font quelquefois l'Histoire, en l'occurrence une erreur de navire envoya notre Ramon pour une dizaine d'années dans la colonie française. Là commença sa reconversion, d'apprenti-mineur, il devint ouvrier du bâtiment tâtant selon la demande et les circonstances,  la pelle du terrassier, le serre-joint du coffreur, la truelle du maçon ou la taloche du plâtrier.

Certains de ses amis avaient repris un bateau pour le pays initialement prévu, lui, sans trop savoir pourquoi, demeura sans vraiment être intégré à l'une ou l'autre des communautés. Son physique de brun hâlé hérité de quelques siècles de domination musulmane sur la péninsule ibérique le faisait passer pour un Arabe mais ces derniers ne s'y trompaient pas. Huit ans s'écoulèrent encore jusqu'au début de ce que les officiers en France appelèrent les « événements d'Algérie ».

Ni arabe, ni français, ne se sentant à l'aise nulle part, il fit le chemin inverse pour échouer à Marseille...


J'écoute cet itinéraire avec intérêt, ne pouvant m'empêcher de faire le rapprochement avec celui que m'avait conté Frédéric sur Benjamin Péret. Finalement, les deux hommes ont eu un parcours semblable. En 1936 au coup d'état franquiste, il s'était rendu à Barcelone où il rencontra la peintre Remedios Varo qui devint sa compagne. Il travailla ensuite à la radio du P.O.U.M. puis partit combattre sur le front d'Aragon. En 1937 il s'engagera dans le bataillon Nestor Makhno de la célèbre Colonne Durruti. Quand il comprendra que les divisions internes des Républicains entre communistes staliniens et anarchistes vont entraîner la défaite, il repartira vers Paris avant de partir quelques temps au Mexique.


Il me plaît de penser que ces deux hommes auraient pu se rencontrer quelque part au Nord de l'Espagne. Cela semble impossible et, sans le lui demander bien sûr car la question serait complètement saugrenue, j'ai la conviction que Gonzalez ne sait qui pouvait être cet homme. Je ne lui en veux pas, je comprends les raisons de son ignorance. Mon regret, c'est de penser que Benjamin Péret devait écrire pour des gens comme Gonzalez, qui, du haut de leur seize ans, ont pris les fusils pour défendre un idéal. Et pendant que le jeune Ramon souffrait dans sa prison de Palencia en 1938, Péret adhérait à son retour d'Espagne à la F.I.A.R.I., la fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant qui avait été créée par Breton et Trotsky.

Au moment d'évoquer son arrivée à Marseille, Gonzalez fait une pause. Il me demande un verre d'eau que je lui sers illico et il sort de sa poche un de ses ninas qu'il fume en silence. C'est à ce moment là que mon esprit vagabonde sur la guerre d'Espagne de Benjamin Péret.

Son cigare terminé, il avale une dernière gorgée avant de poursuivre le fil de son récit. Il m'explique que sa vie à Marseille fut au début un peu meilleure que celle qu'il avait vécue auparavant. Toutefois il nuance son propos en lâchant une formule cinglante qui traduit bien le désespoir que peut porter un homme comme lui :


« Quand vous avez presque trente ans, que vous n'avez plus de famille, que vous avez perdu une guerre, que vous avez été obligé de fuir votre pays et que vous n'êtes nulle part bien reçu, vous ne vous sentez pas vraiment bien dans votre peau... ».

Je ne sais plus si c'est exactement les mots qu'il a prononcés, en tout cas, l'idée majeure est fidèle.

Il me raconte ensuite la vie d'un immigré dans les années cinquante : beaucoup de travail, peu de loisirs. Pour enfoncer le clou de ces paroles précédentes, il convient qu'il valait mieux qu'il n'eût pas trop de temps libre à cette époque car, selon ses dires, il aimait trop le vin rouge. Quand il ne bossait pas, il devait être submergé par ses démons et ne trouvait refuge que dans la boisson pour essayer d'alléger ses souffrances et tromper sa solitude.


Sentant qu'il commence à fléchir, que sa guerre lui revient sans mal mais que les années qui suivent semblent être paradoxalement moins faciles à exprimer, je suis tenté de l'aider en lui rappelant qu'à sa première visite il m'a contacté à propos de sa fille. J'essaye donc de le faire parler sur sa famille. L'idée qui me paraissait bonne s'avère un fiasco. Il commence, comme la fois précédente, à se perdre dans son récit, à s'énerver et à injurier sa femme. Je finis par comprendre que son épouse a disparu un jour sans laisser d'adresse, en emmenant leur petite.


Voilà qui devient plus clair : j'ai quelques éléments qui prouvent que le vieux ne perd pas complètement les pédales et que son histoire a un sens même si, entre son arrivée à Marseille et la disparition de la femme et de l'enfant, je n'ai aucune information à me mettre sous la dent.

Notre entretien dure encore quelques minutes pendant lesquelles je n'arrive pas à soutirer à Ramon Gonzalez la moindre information. Je manque d'habitude, je ne suis pas un vrai détective privé, je revendique un titre d'écrivain public qui n'a pas la moindre expérience. Le vieil espagnol commence à perdre patience, pour lui les choses sont claires, il faut que je retrouve sa fille.

Enfin, non sans mal, il finit par me donner son adresse à l'époque où il vivait à Marseille : « rue des moulins ». Bien que ce soit une information qui remonte à une quarantaine d'années il se souvient même du numéro mais je n'en saurai pas plus pour l'instant. Je devrai m'en contenter.


Il fallait s'y attendre, si cet enfant pouvait être retrouvée facilement, Gonzalez n'aurait pas eu besoin de mon aide. S'il insiste sur le détective privé plutôt que sur l'écrivain public, il a ses raisons. Il connaît les obstacles et les difficultés qu'il faudra surmonter pour se mettre sur la piste de sa descendante. Je vais relever le défi, je joue le jeu, je ne trahirai pas la confiance que j'ai eu l'honneur de recevoir.


**************************************************************


Un seul et unique client mais qui m'occupe à plein temps. Je ne crois pas qu'ouvrir un espace d'écrivain public ait été une si bonne idée que ça.

Après le départ du vieil espagnol, je n'ai pas vu l'ombre du moindre curieux qui aurait esquissé un tout petit temps d'arrêt sur la devanture de mon échoppe montrant par ce geste un semblant d'intérêt pour mon travail et qui laisserait présager que dans les jours à venir les affaires vont démarrer. Il est peut-être un peu tôt pour tirer une conclusion définitive mais à la fin de la semaine s'il n'y a rien de nouveau sous le soleil de Saint-Saturnin, direction : la cité phocéenne sur les traces de Gonzalez !


En attendant, pour meubler la soirée et faire venir le sommeil, je vais aux nouvelles de la tante Marie-Sybille sur la toile. Aujourd'hui le texte est intitulé « la folle du régiment », tout un programme.

 

Dans une précédente chronique, je vous ai conté mes aventures dans mon jeune temps à l'époque où j'usais mes fonds de petites culottes sur les bancs du collège. Quelques années plus tard, j'avais l'insigne honneur de servir la France ou plutôt la Ffrance et d'être incorporé dans un corps de l'armée de terre. J'ai bien dit « incorporé » comme on le fait pour un aliment dans une recette de cuisine et non introduit. Petits vicieux ! De nos jours, les jeunes gens n'ont pas la joie de se retrouver entre garçons pendant un an, partageant le gîte et le couvert. Si l'on veut tâter d'une telle expérience, il faut fréquenter les scouts ou les éclaireurs pour avoir la chance de dormir dans la même tente qu'un jeune homme de son âge ou qu'un vieux curé libidineux.

Ah ! quelle chance ! se lever aux aurores au son du doux clairon,  courir dans la nature par grand froid avec seulement un petit short et un léger tee-shirt comme l'auraient fait nos sympathiques prédécesseurs de Sparte, s'astiquer le fusil jusqu'à le faire reluire et l'oindre d'une huile sensuelle,  se rouler à plusieurs dans une terre fangeuse sous une herse de barbelés que même les pires sado-masos redouteraient. Enfin, que des plaisirs comme on les aime ! Les joies du plein-air qui revivifient et de sains exercices qui tonifient le corps sans embarrasser le cerveau...

 Voilà pour le dehors, à l'intérieur tout était à l'avenant, de petites activités dignes d'une bonne maîtresse de maison, comme le nettoyage des sanitaires que certains farceurs s'évertuaient à barbouiller de merde pour tester nos compétences en ménage, quelques corvées de cuisine pour se couper la faim certainement dans le but louable de ne pas trop prendre de kilos superflus, et l'entretien de la chambrée qui va du balayage du sol, au lit au carré, en passant par le rangement impeccable de l'armoire. Que de souvenirs émus comme ce jour où, le lieutenant passant en revue notre carrée en gants blancs pour traquer le moindre grain de poussière, nous nous aperçûmes, en sa présence, que nous avions oublié de passer le chiffon sur un rebord de fenêtre. Heureusement il n'y vit que du feu mais nous étions tous tremblants à l'idée qu'il allait découvrir une occasion de nous châtier comme des vilains petits soldats !...

 J'ai vu de virils hommes devenir esclaves de leurs brodequins. A force de les cirer, il leur fallait toujours une chiffonnette à proximité pour faire luire le dessus et le coup de pied afin qu'ils puissent, comme Narcisse admirer leur reflet dans le bout de leurs chaussures...

Un adjudant attentionné ayant remarqué mes manières, m'avait fait affecter à la chambre des plus loulous et malfrats de la caserne afin que la poule au contact des renards et des loups soit sous leur protection. Il avait vu juste. Je devins la mascotte de l'équipe et gare à celui qui aurait eu l'intention de me faire du mal.

 Seulement mes nouveaux amis n'avaient rien trouvé de mieux que de vouloir refaire mon éducation. Il faut dire qu'eux en avaient reçu une bonne : mon voisin immédiat de lit trafiquait le cannabis et les autoradios. Eh oui ! mes amis, je vous parle d'un temps où les téléphones  portables n'existaient pas et où le must du must en matière de technologie se trouvait sous les tableaux de bord des voitures ! Le second de mes collègues était expert dans le vol justement des automobiles. L'homme idéal quand vous avez oublié vos clefs, qui, avec un cintre vous ouvre votre véhicule en moins de trente secondes ! Le troisième ne savait pas revenir des courses sans avoir sur lui plus d'objets que dans son panier ou chariot. De braves garçons au demeurant mais qui ne s'embarrassaient pas avec des principes d'honnêteté : ils en avaient d'autre, un code d'honneur avec ses qualités, où l'amitié tenait une place importante.

Malgré mes différences, ils m'avaient adopté et me considéraient des leurs. Le hic (car il y en a toujours un) résidait dans le fait que je devais changer mes manières pour que je puisse sortir en ville avec eux sans leur faire honte. A mon arrivée on m'avait appris à marcher au pas. Ce n'est déjà pas facile, mais eux voulurent me faire avancer droit. Je m'explique. Ils avaient remarqué que j'avais tendance à tortiller du popotin et donc à avancer non de façon rectiligne mais en dessinant des méandres telle la couleuvre dans la garrigue.

En début de soirée, j'avais droit à mon exercice de marche dans le couloir avec obligation de respecter la ligne représentée par les dessins du carrelage. J'essayai, sans protester, de faire plaisir à mes camarades et de m'appliquer de mon mieux mais au bout de quelques séances, ils abandonnèrent leur entreprise.

Je ne sais pas trop si la fin des travaux pratiques correspondit à des progrès de ma part dans le déhanchement de mon arrière train ou à leur seuil de tolérance devenu plus élevé. J'ai quand même ma petite idée. Toujours est-il que ma démarche caractéristique me valut le surnom de la « folle du régiment », titre honorifique qui ne me créa néanmoins pas de problèmes car ma protection était bien assurée. Que sont devenus mes anges-gardiens ? Il me plairait de le savoir.

Voilà, c'était la chronique bêtement nostalgique sur le service militaire de Tante Marie-Sybille. Arrivé à un certain âge on finit par avoir un regard attendri sur l'époque où l'on avait vingt ans, quelle drôle de coutume ! Je n'échappe pas à ce comportement régressif alors il vaut mieux que je me taise avant de dire des bêtises !

Ne soyez pas inquiets ni tristes, on se retrouvera bientôt pour de nouvelles aventures...

 

                                                        Signé : Marre ici Bill

  

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20 avril 2008 7 20 /04 /avril /2008 19:24

Chap. 3 « Trois cerises et une sardine »


Comme je l'avais décidé, j'ai fermé la boutique à midi. Dans la norme, un magasin se doit d'être ouvert le samedi après-midi. Pour ma part je ne me considère pas comme un marchand de boîtes de conserve de toute façon, personne n'est venu faire appel à mes services à l'exception de mon seul et unique client, Ramon Gonzalez. Il faut donc que je m'en occupe bien. En fait, je refuse pour l'instant de faire un constat d'échec sur cette aventure d'écrivain public : il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives et reconnaître que je me suis trompé est un exercice difficile. Essayons de régler cette affaire, changeons d'air, oublions le passé récent et quand le bilan de cette action sera dressé, on avisera.

J'ai vécu une vingtaine d'années à une centaine de bornes de la cité phocéenne et je n'y avais jamais mis les pieds jusqu'à aujourd'hui. J'ai pris l'autoroute à Orange et je suis arrivé à bon port. C'est d'ailleurs le cas de le dire car en entrant dans la ville on tombe rapidement sur le vieux port. Je ne l'avais vu qu'à la télé ou dans des films.

C'est fou comme on a des clichés sur des lieux. Dans la voiture en venant, je pensais à Marseille en essayant de voir ce que j'en savais. Bien entendu c'est l'histoire mais puis-je parler d'histoire puisque je n'en connais ni le début, ni la fin, ni les tenants, ni les aboutissants, de la sardine qui a bouché le port.

Par association d'idées me vient le recueil de Benjamin Péret paru en 1937 « Trois cerises et une sardine ». Ce livre date du retour de l'écrivain de la guerre d'Espagne qu'il considérait dès cette époque comme perdue et je fais inévitablement le lien avec Ramon Gonzalez qui à ce même moment perdait lui aussi ses illusions en même temps que les membres masculins de sa plus proche famille.


J'essaie de réfléchir à quelque chose que je connaisse de Marseille qui ne soit pas un cliché. Inévitablement le ferry boat de Pagnol, l'O.M de Tapie, Fernandel à l'Alcazar... Rien qui donne l'envie d'aimer cette ville. Je cherche dans le plus récent, les comiques à accent, les bolides des films produits par Besson, toujours rien. La musique, à la rigueur mais je ne suis ni rap ni raggamuffin, ça réduit le choix. Je me creuse encore les méninges pour savoir ce que j'en sais au niveau littéraire. Marseille, comme toutes les villes, doit être plus belle dans les livres que dans la réalité.

Dans la littérature occitane, je ne vois que peu de choses mais je ne connais pas tout. Il y a bien quelques poésies de Pèire Vidal mais ça remonte au Moyen âge. Mistral, poète de la Provence s'il en est, n'a pas eu un regard pour la ville grecque. La campagne a eu ses grâces. Il a chanté Arles mais pas Marseille. Non, je ne vois pas, si ce n'est quelques polars récents de Florian Vernet ou de Claude Barsotti (non ! pas le chanteur ringard, le journaliste de la Marseillaise, le quotidien communiste). Mais c'est sûr je dois avoir des trous dans mon savoir.

Finalement je reste un peu dans le policier puisque je gare mon véhicule dans le parking souterrain qui se trouve derrière l'hôtel de police plus connu sous le nom d'évêché. Je ressors à la surface pour redescendre sur le quai du Port. Je m'arrête dans une maison de la presse pour y acheter une carte de la ville puis je vais m'asseoir à la terrasse d'un de ces cafés qui font face au Vieux Port. J'en profite pour ouvrir mon plan et chercher la rue que m'a indiquée Gonzalez. « rue des moulins », ça t'a un côté typique, cent pour cent Provence. On voit déjà l'ambiance Daudet avec son maître Cornille, sa mule du pape ou son élixir du père Gaucher, du couleur locale, du Peter Meyle avant l'heure. Eh bien ! rien de tout ça ; je finis par trouver dans le dédale horizontal, une petit « rue des Moulins » perpendiculaire à la « rue du Panier » beaucoup plus célèbre au point d'avoir donné son nom au quartier tout entier...

Un coin de la ville qui est bientôt plus célèbre que la cité elle-même. Merci aux polars de Jean-Claude Izzo !

 Longtemps j'ai refusé de lire des romans policiers considérant ce genre comme de la sous littérature. J'avais en tête les S.A.S. et autres San Antonio, sexe et coups de poing, que mon père lisait au W.C. à la maison. De la littérature de chiottes en somme. Quelquefois si c'était du Maurice Leblanc ou du Gaston Leroux, ça pouvait passer pour de la littérature enfantine. Enfin quand ces dames britanniques ou américaines nous brossent des portraits des beaux quartiers et insistent lourdement sur le travail du médecin-légiste, c'est dans le meilleur des cas de la littérature de hall de gare. J'avais comme pour Marseille, des clichés dans la tête mais pas tant que ça finalement. Il a fallu qu'un jour Frédéric me  convainque d'en lire ... pour que je me réconcilie avec le polar. D'ailleurs maintenant que j'y repense quelques jours avant sa mort, Frédéric relisait « le soleil des mourants », j'aurai dû y voir un signal d'alarme.

Comment décrire la prose d'Izzo, à ceux qui n'en auraient jamais entendu parler ? D'abord c'est difficile de ne pas en avoir eu connaissance. Quand même ! Izzo, sans le vouloir a lancé la mode du polar marseillais, il a rendu populaire le quartier du Panier et heureusement pour lui n'a pas vu l'adaptation de Fabio Montale sur T.F.1. Qui a eu l'idée saugrenue de faire jouer le rôle de Fabio Montale, flic marginal, tolérant, ouvert, cabossé par la vie par le comédien à l'ego le plus enflé du monde, réactionnaire, intolérant, en un mot une personnalité aux antipodes de celle du héros de Jean-Claude Izzo ? On se le demande. Que dire de ce téléfilm : un Fabio Montale (Alain Delon) aussi expressif qu'un mannequin en cire des galeries Lafayette, une distribution digne des meilleurs spots publicitaires et pour couronner le tout, un Marseille de carte postale baigné de soleil ! Tout beau, tout propre ! Diffusé juste à temps pour couper l'herbe sous le pied de la version cinématographique d'Alain Bévérini avec dans le rôle de Montale, un Richard Boringer, buriné et écorché vif comme se doit d'être Fabio.

Le « Panier » d'Izzo ce n'est justement pas le « Montmartre » de Marseille et maintenant que j'y monte, j'en ai la confirmation. C'est vieux, c'est moche, les rues sont étroites mais ça vit. On a pas encore chassé les pauvres gens de ce quartier pour qu'ils aillent s'entasser dans une quelconque banlieue. Non sur un devant de porte, un vieux prend le frais alors qu'à quelques encablures de là des enfants jouent au foot dans la rue même. Ni la personne âgée, ni les mômes ne sont vraiment couleur locale. Voilà ce que j'aurai dû dire sur Marseille. Elle n'est pas provençale, elle est un port ouvert sur le monde entier et ceci, depuis toujours. Izzo, lui même fils d'un italien et d'une espagnole l'avait très bien compris et c'est pour ça que sa Marseille résonnait juste dans ses bouquins. Tout le contraire de ce feuilleton télévisé qui veut surfer sur la mode du Panier. J'en parle sans l'avoir vu, les bandes annonces me suffisent. On les connaît ces soaps, avec leurs personnages caricaturaux, leurs dialogues stéréotypés, leurs situations téléphonées, leur esthétique de supermarché. Un Panier en carton pâte entièrement recréé en studio qui n'a ni vie, ni âme.

Je fais durer le plaisir, je ne me rends pas directement à l'adresse que m'a donnée Gonzalez. Je sais maintenant où ça se trouve mais je préfère faire un petit tour dans le quartier, sur les traces de Jean-Claude Izzo en ayant une pensée pour celui qui me l'a fait découvrir. Dans la « montée des Accoules » il y a un santonnier. Qui a dit que l'on était pas en Provence ? Un peu plus loin une « rue des mauvestits », encore une marque occitane dans la toponymie. La « rue du Panier » étroite, napolitaine à souhait. Je ne regrette pas d'être venu.

Enfin la « rue des moulins » et une boutique surannée au titre évocateur « caves des moulins, huiles -vins -savons ». Et oui, en voilà un autre de cliché que j'avais omis de mentionner : le célèbre savon de Marseille.

Un écriteau dans la vitrine en plusieurs langues mais pas en occitan :  en français d'abord « l'art de vivre provençal », puis dessous in english « Provençal way of life ». Italiano « l'arte de vivere provenzale », espanol « el arte de vivir en Provence », german « Leben wie gott in « der Provence ». Le seul hic : pas un seul touriste à l'horizon. A Cannes, à Nice ou en tout point de la côte d'azur ce panneau aurait semblé à sa place, ici il donne l'impression d'être tombé là par accident. Nous sommes à quelques hectomètres du vieux port, de la mairie et pourtant on dirait que l'on en est à la fois très éloigné géographiquement mais aussi que l'on a fait un bond en arrière dans le temps pour revenir à une autre époque. Une Marseille de l'immédiat après-guerre avec des réclames murales aux couleurs passées pour des marques qui n'existent plus, des arrivées de gaz ou d'eau hors d'âge, des volets et des façades défraîchis. Des rues si étroites que les voitures semblent avoir renoncé à y monter. Un silence digne d'une campagne reculée à deux pas du centre-ville.

Je marche dans ce calme en me surprenant à rêver d'être Fabio Montale à la recherche de son enfance et de ses amis voyous. Je finirai par me prendre au jeu du détective privé si je ne me surveille pas. Je ne veux pas me faire passer pour un flic, j'aurais l'impression d'être trahi par mes attitudes, comme si l'ombre de mon père était toujours prête à surgir pour me reprocher de ne pas avoir le profil de l'emploi. Trop pédé pour être gendarme ou policier. En mémoire d'Izzo qui était rédacteur en chef de la Marseillaise, je me ferai passer pour un journaliste de ce même journal. Il faut bien que je trouve quelque chose car j'arrive à l'adresse indiquée par Gonzalez.

Je me souviens parfaitement du numéro de la rue des moulins mais par acquis de conscience, je recherche dans ma poche le papier où j'ai noté les indications du vieil espagnol. C'est bien là.

Une petite maison au même aspect que celles que j'ai vu depuis mon arrivée dans le quartier. Modeste, mal restaurée mais pas à l'abandon. Une minuscule boîte aux lettres que les facteurs considèrent comme en dehors des normes mais qui, dans cette ambiance, va beaucoup mieux qu'irait la réglementaire de la Poste.

 Je vérifie le nom avant de frapper, rien d'hispanique mais plutôt des consonances africaines. On verra bien. Un timide « toc-toc » et une femme vient ouvrir. Légèrement surpris malgré l'avertissement de la boîte aux lettres et peut-être aussi par un boubou très coloré, je bredouille quelques mots maladroits. Je suis prêt à renoncer voyant bien que je suis sur une mauvaise piste.

Enfin puisque je suis là, on ne sait jamais, je fais une tentative. J'explique à la dame que je cherche une famille Gonzalez qui habitait dans cette habitation il y a quelques années. La femme, un tantinet méfiante au premier abord se rend vite compte qu'elle n'a rien à craindre de moi. Elle devient souriante et coopérante. Malheureusement elle ne sait rien. Elle m'expliquera que son mari a racheté cette maison depuis peu et qu'elle ne connaissait rien des précédents occupants. 


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