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8 avril 2008 2 08 /04 /avril /2008 06:58

Chap. 6 : « je ne mange pas de ce pain-là »


Voici maintenant trois jours que Ramon Gonzalez est mort. Ce délai a permis l'organisation de ses obsèques qui auront lieu cet après-midi.

 De mon côté, j'ai un peu récupéré de mon séjour à Barcelone mais je n'ai pas complètement retrouvé la sérénité. La cause de mon trouble paraît évidente : la valise de billets. Dans la courte période qui a suivi la disparition du vieil Espagnol, je n'ai eu aucun signe, aucune information qui laisseraient croire que quelqu'un soit au courant de l'existence de cet argent. On ne peut pas envisager que la famille surtout du côté de la fille se trouve affectée et observe le deuil du défunt au point d'en oublier de venir réclamer le magot. Non, il est plus probable qu'aucune personne ne sache que le vieux avait une grosse somme en liquide chez lui.

Le problème n'est pas réglé pour autant car il est bien sûr hors de question que je m'approprie ce trésor.

Je me souviens que Frédéric dans sa thèse avait insisté sur un recueil de Benjamin Péret édité en 1936 qui s'intitulait « Je ne mange pas de ce pain-là ». Cette phrase fut d'ailleurs celle qui lui servit d'épitaphe. A propos de l'argent de Gonzalez, je veux me la faire mienne. J'envisage tout jusqu'à le réduire en cendres plutôt qu'il ne me brûle les mains.

Mais chaque chose en leur temps, je trouverai une solution à ce problème. Pour l'instant je dois en résoudre un autre : dois-je me rendre ou non aux funérailles de Ramon Gonzalez ?

La prudence m'inciterait à ne pas me montrer à cette cérémonie. Les deux enfants me connaissent, m'ont vu de près. Auprès d'eux j'ai utilisé une fausse identité et leur ai raconté des bobards afin de leur soutirer quelques informations. Si je fais donc mon apparition à l'enterrement je peux m'attirer des ennuis.

Dans le même temps, il y a un argument de poids qui m'encourage à me rendre aux obsèques de Gonzalez.  Je pense que je dois honorer la mémoire de cet homme qui m'a fait confiance. Jusqu'à maintenant, qui m'avait autant fait confiance dans ma vie ? A ce niveau là il a surpassé mon propre père. N'est-ce pas une raison suffisante pour lui rendre un dernier hommage ?

Le risque est grand ; de plus, que je sois présent ou pas, l'intéressé ne me verra pas et si je le fais, ce n'est que pour lui. J'hésite encore. J'interroge ma conscience.

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Je n'ai pas agi avec raison. J'ai bravé le danger, je suis allé assister à la cérémonie mortuaire.

Les salauds ! Jusqu'au bout ils lui en auront fait voir de toutes les couleurs. Les enfants, je suppose que ce sont eux, (qui ça pourrait bien être d'autre ?) ont fait donner une messe. Le sacrilège ! lui faire cet affront !

Le cercueil arrive dans un corbillard qui s'arrête devant l'église. Il n'y a pas foule sur le parvis. Je reconnais quelques communistes dont le fameux Jean-Marc Vader à qui j'avais posé quelques questions. Les copains du bistrot parmi lesquels je retrouve l'ancien collègue de mon père.

Derrière la voiture des pompes funèbres, deux véhicules. Du premier descendent les Montbrun plus précisément la fille de Gonzalez et le petit-fils. Le docteur n'a même pas daigné venir mettre en terre son beau-père. Dans le second, le fils naturel lui-aussi sans son conjoint. Décidément les pièces rapportées de la famille n'aiment pas les moments tristes.

Les employés des pompes funèbres font entrer le cercueil dans le lieu de cultes, suivis des Montbrun et de Cabrera. Quelques rares personnes présentes sur le parvis entrent à leur tour. La majeure partie de la maigre assistance reste dehors. En voyant défiler devant mes yeux ce drôle d'attelage, je ne peux m'empêcher de penser à un poème de Péret qui correspond complètement à la situation.


« Il est venu

 il a pissé

comme il était seul

 il est parti

mais il reviendra

l'œil dans la main

l'œil dans le ventre

 et sentira

l'ail les aulx

Toujours seul

il mangera les asperges bleues des cérémonies officielles »


Ce dernier vers au sens énigmatique illustre pourtant vraiment bien l'instant. La présence d'un curé autour de sa dépouille est presque aussi incongrue que celle de ses enfants et ce n'est pas des asperges bleues qu'on lui force à avaler mais une dernière couleuvre.

         Une fois le corps et sa cohorte à l'intérieur de l'édifice, les conversations reprennent à l'endroit où elles avaient été interrompues par l'arrivée du corbillard. Les piliers du bistrot se racontent des anecdotes relatives à la passion de Gonzalez pour les courses et les « camarades » refont la guerre d'Espagne une heure de temps. Moi, perdu, je tends une oreille attentive à chaque conversation pour reconstruire des tranches de vie d'un homme que j'aurai finalement peu connu.

         La porte de l'église finit quand même par s'ouvrir à nouveau et le silence de refaire son apparition.

Direction le cimetière : jusqu'à là tout s'est bien passé pour moi.

         La prudence devrait m'encourager à en rester là mais n'ayant pas assisté au prêchi-prêcha du curé, je n'ai pas la sensation de m'être recueilli réellement sur la dépouille du camarade Ramon, je prends donc la direction du cimetière. Comme souvent aujourd'hui dans de nombreuses villes, l'église et le lieu d'inhumation assez éloignés l'un de l'autre, seuls les proches vont jusqu'au terme de la cérémonie.

On va toujours plus vite quand on est seul qu'en troupe ; en tout cas il n'est pas très difficile d'aller plus vite qu'un convoi funéraire. Me voilà donc à la porte du « boulevard des allongés » quand arrive le corps suivi d'une assistance des plus restreintes.

Cabrera, le fils, et la femme du docteur Montbrun, la fille, sont-ils réellement affectés par le décès du vieux ? En tout cas ils jouent bien la comédie si ce n'est pas le cas. Trop occupés par le protocole comme les va et vient des croque-morts ou la bénédiction du curé, ils n'ont pas fait attention à moi. Le fils Montbrun par contre ne semble pas concerné par ce qui se passe et prend donc tout loisir pour observer l'auditoire. Je le vois lever la tête en direction du maigre public alors que tout le monde regarde peu ou prou ses pieds.

Nos regards se croisent à un moment, je suis repéré. Je n'y fais pas attention : je reste concentré sur Ramon Gonzalez. Je m'efforce d'être en communion avec lui, certainement pas comme le voudrait l'homme d'église mais dans un hommage personnel où j'essaie de partager ses idées, ses sentiments, ses espérances...

 A la sortie du cimetière Philippe Montbrun se rappelle à mon bon souvenir. Discrètement il m'entraîne par le bras un peu à l'écart sans que personne ne se rende compte de la scène. Sans faire d'esclandres pour ne pas attirer l'attention sur nous, il commence un monologue explicite :


         « - qu'est-ce que tu fous là ? T'es flic ou quoi ? Je ne sais pas quel petit manège tu joues mais je me suis renseigné sur toi : aucun étudiant ne travaille sur « Provenço d'aqui » ! Alors n'essaie plus de tourner autour de nous, sinon gaffe à toi, on te fera la peau ! Est-ce que c'est bien clair ? Plus jamais sur notre route, sinon couic ! »


         Il a accompagné ses menaces d'un geste assez discret mais très compréhensible. Il a passé son pouce sous le cou accompagnant l'onomatopée d'une grimace qui s'est terminée par la sortie de sa langue sur le côté. Il n'a rien ajouté et s'en est retourné auprès de sa mère.

         Inutile de dire (et sans jeu de mots) que je n'ai pas fait de vieux os dans le cimetière. De peur d'être suivi, j'ai préféré prendre la poudre d'escampette avant que lui ou un autre ait l'idée de voir où je me dirige.

         De retour à la maison, je tente de mettre un peu d'ordre dans mes idées. Il est évident que je n'aurai pas dû me rendre aux obsèques de Gonzalez. Peut-être qu'inconsciemment, je souhaitais me faire prendre pour mettre un terme à cette histoire.

         Le fils Montbrun m'a fait des menaces de mort : c'est classique chez les fachos mais dois-je les prendre au sérieux ou bien les considérer seulement comme une manœuvre d'intimidation ? Je pense qu'il a peut-être cru que j'étais là par rapport aux affaires immobilières louches de son père et non à cause de son grand-père. Ce n'est qu'une supposition. Je n'ai rien répondu et surtout pas la vérité...

         En analysant plus à froid la situation, j'ai la désagréable sensation que l'étau se resserre sur moi. Quand Philippe Montbrun va expliquer à ses parents qu'il m'a vu aux obsèques, ils vont chercher à en savoir plus. Et Cabrera ? Je suppose que maintenant il aura fait connaissance avec sa demi-sœur et qu'ils vont savoir que j'étais à Barcelone trois jours auparavant.

         Normalement je suis relativement à l'abri car j'ai avancé sans dévoiler ma véritable identité à aucun moment de mon enquête mais si on déploie les grands moyens pour fouiller, Saint-Saturnin est une petite ville, je pense malheureusement qu'il ne sera pas trop difficile de remonter jusqu'à moi.

         Et si Gonzalez lui-même avait parlé de son argent ? Il n'était pas gâteux mais pas toujours complètement lucide, avec une telle somme en liquide à son domicile, il y a fort à parier que parfois ça devait le faire gamberger quand même. Un soir de cuite au bistrot, ou à l'hôpital en se voyant mourir il aurait pu lâcher le morceau et de fil en aiguilles l'information finirait par remonter à qui de droit...

Si les flics débarquent ici, je me trouve en possession de la valise, il me sera difficile d'argumenter pour ne pas passer pour un voleur ou un escroc. Qui croira que c'est Gonzalez lui-même qui m'a confié l'argent ? De toute façon, maintenant qu'il est mort, je suis dans l'obligation de restituer le magot à la famille, sans quoi je suis un extorqueur de fonds..

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